Dans la petite histoire de l’infamie, la journée du lundi 25 septembre et la façon dont, ce jour-là, toute une partie de la classe politico-médiatique aura traité Dominique Strauss-Kahn seront à marquer d’une pierre blanche. Car enfin, que l’ancien ministre de l’Économie et des Finances ait été, dans cette affaire de « cassette », d’une incroyable légèreté et qu’il ait, ce faisant, donné prise au soupçon est une chose. Mais c’en était une autre de déclencher contre lui, sur la foi de soupçons justement, c’est-à-dire d’indiscrétions vagues, de ragots, d’informations non vérifiées et qui se dégonflaient à mesure que passait la journée, cette hallucinante curée médiatique. « Turpitude », cria l’un… « Couper le bras pourri », hurla l’autre… « Plus fréquentable », dit le troisième… « Une honte pour le PS », gronda le quatrième, « indigne d’être membre de notre parti »… Et celui-là encore, Henri Emmanuelli, pour ne pas le nommer – mais si ! il faut le nommer ! car il devrait connaître mieux que personne, lui, la logique terrible du bouc émissaire – : « je demande qu’on fasse le ménage »… On s’émeut, çà et là, du climat « délétère », des relents « nauséabonds », de l’« odeur pestilentielle » dans laquelle baignerait cette précampagne présidentielle. C’est vrai. Mais c’est, aussi, la pestilence de la curée. C’est l’odeur âcre et, malheureusement, trop bien connue de la meute lâchée contre l’un des siens. Strauss-Kahn le pelé. Strauss-Kahn le galeux. Strauss-Kahn ou le mouton noir que l’on écarte du troupeau. Tous innocents, disent-ils, tous merveilleusement vertueux – sauf Strauss-Kahn…

Car que reproche-t-on, au juste, à Strauss-Kahn ? Est-ce d’être responsable de la divulgation, via Le Monde, de la fameuse vidéo ? Nul, hormis les grands paranoïaques qui veillent sur l’Élysée, ne l’a sérieusement envisagé. Est-ce d’avoir octroyé une faveur à un couturier en délicatesse avec le fisc ? On apprenait au fil des heures, ce fameux lundi, qu’il n’y a pas eu de faveur, que les montants concernés n’étaient pas les chiffres faramineux sortis de l’imagination enfiévrée de certains journalistes en mal de sensationnel, bref que la belle et bonne rumeur – DSK-Lagerfeld : quel casting ! – devait retomber comme un soufflé. Serait-ce d’avoir envisagé, dans l’éventuelle bataille politique qu’il aurait éventuellement pu mener si, comme on lui en prêtait l’ambition, il s’était porté candidat à l’élection à la mairie de Paris, serait-ce d’avoir imaginé, donc, se servir un jour de l’arme politique que pouvait être cette fameuse cassette ? Le fait est qu’il ne l’a pas fait ; le fait est qu’il n’a pas été, qu’il n’est pas, qu’il ne sera pas ce candidat ; et ce serait bien la première fois, par conséquent, qu’on condamnerait un homme, qu’on le clouerait au pilori, qu’on détruirait sa carrière et peut-être son honneur, au nom d’un crime nouveau qu’il faudrait bien appeler un crime d’intention. L’erreur est-elle d’avoir accepté cette cassette, enfin ? Le ministre aurait-il dû mettre instantanément à la porte l’avocat qui la lui apportait et, tel Tartuffe, s’exclamer : « cachez cette cassette que je ne saurais voir » ? Peut-être, oui. Peut-être est-ce le vrai reproche à lui faire. Mais franchement ! La faute est-elle si grande ? Mérite-t-elle ce torrent de fiel et de boue ? N’y a-t-il pas plus grand crime, vraiment, n’y a-t-il pas, Messieurs les socialistes, n’y a-t-il jamais eu, plus grande « honte » pour votre parti que de voir l’un des siens recevoir une vidéo dont il ne fait aucun usage et qu’il dit – l’enquête devra le confirmer – n’avoir pas visionnée ? Tout cela est dérisoire. Misérable et dérisoire. Et l’on rougit de voir le débat public descendre à ce degré de vulgarité.

Car tout est là. Et les derniers fidèles – ils sont bien rares – de Dominique Strauss-Kahn ont raison de parler de « diversion ». Qu’est-ce qui est plus important, en effet, des tribulations de cette cassette ou des révélations qu’elle contient ? Quelle est la vraie question qui devrait mobiliser non seulement les juges, mais la presse : savoir si DSK est moins étourdi qu’il ne le dit, moins désordonné, etc. – ou si Jean-Claude Méry dit vrai, si le système qu’il décrit et qu’a révélé Le Monde a permis, oui ou non, de détourner au profit d’un ou de plusieurs partis des centaines de millions de francs destinés aux HLM, aux crèches, aux collèges et lycées de la Ville de Paris ? Bref, transparence pour transparence, quelle est la vraie urgence : mettre à plat l’emploi du temps d’un ancien ministre qui dit n’avoir, de réunions sur l’euro en commissions d’arbitrage sur le budget, la réforme des banques, la dette du tiers-monde, l’inflation, jamais trouvé le temps de s’intéresser au contenu de cette maudite cassette, ou mettre à plat tout le dispositif qui a permis, pendant des années, de financer non seulement le RPR, mais l’ensemble du système politique français ? Je ne dis pas cela pour « innocenter » Dominique Strauss-Kahn. Ni parce qu’il est mon ami et que je lui conserve, plus que jamais, cette amitié. Mais parce qu’il n’y a pas d’autre voie pour poser la vraie question qui empoisonne la vie publique et qui est celle du financement, aujourd’hui comme hier, de la démocratie. Pas d’amnistie, non. Mais la vérité. Toute la vérité. Et déjà, comme le réclament certains magistrats, une commission nationale d’enquête qui, par-delà le cas de tel ou tel, et hors logique du bouc émissaire, dresserait un état des lieux de la corruption politique en France.


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