Il vient de se produire, mine de rien, un événement à marquer d’une pierre noire dans l’histoire de la Société du Spectacle.
C’est ce jour, vendredi matin, où la quasi-totalité des radios et chaînes d’information, l’essentiel de la presse écrite, non seulement française, mais mondiale, les sites d’information les plus sérieux, les éditorialistes américains, allemands, néo-zélandais, singapouriens les plus respectables et les plus écoutés ont tous, comme un seul homme, annoncé la séparation d’Anne Sinclair et Dominique Strauss-Kahn sur la seule foi d’une information publiée par… Closer !
Je passe sur la violence de cette intrusion dans la vie d’une femme et d’un homme qui ont droit, comme chacun de nous, au respect de leur vie privée.
Et je n’ai – faut-il le préciser ? – aucune espèce d’idée de l’exactitude, ou non, d’une nouvelle à laquelle j’ai, moi, symétriquement, le droit de ne pas m’intéresser et dont je regrette que mes sites d’information préférés aient cru bon de me l’infliger en violant, par voie de conséquence, mon droit, non moins imprescriptible, à ne pas entrer dans la chambre à coucher d’autrui.
Ce qui m’intéresse dans cette affaire, c’est, une fois de plus, son caractère symptomatique.
Ce qui fascine dans ces New York Times, Toronto Sun, Hindustan News, Irish Examiner, Chicago Tribune et autres Malaysian Insider titrant, à l’unisson, sans l’ombre d’un fact checking, sur ce supposé « divorce » promu événement « mondial » et « earlier reported by the weekly magazine Closer », c’est le désir compulsif, de moins en moins inconscient, de plus en plus planétarisé, qui s’exprime de la sorte à l’encontre d’un homme que l’on a fini par coudre dans la peau d’un monstre, ou d’un diable, dont le moindre mouvement (fêter un anniversaire, manquer la projection d’un film, voyager…) est scruté, sur-interprété, démonisé.
Ce désir n’est pas un désir de vérité : Dominique Strauss-Kahn n’étant plus ni candidat à rien ni directeur de quoi que ce soit, ce prétendu « éclairage » des « citoyens » ajoute à la violence de la démarche l’alibi d’une tartuferie misérable.
Ce n’est pas un désir de justice : le droit se jugeant dans les prétoires, pas dans les salles de rédaction, et la fréquentation des prostituées n’étant, par ailleurs, pas encore un délit en France, nul n’est en mesure de dire ce qu’il en est vraiment des incriminations dont nous avons, à notre corps défendant, été pris à témoin.
Ce n’est même pas l’éventuel souci d’édification morale de ses contemporains : la morale n’est pas l’ordre moral ! l’idéal de transparence, l’injonction de tout dire, de tout montrer, de faire lumière sur tout sont l’immoralité même !
Ce n’est pas davantage le légitime dessein de faire avancer la cause des femmes : quelle féministe digne de ce nom se sentira-t-elle exprimée par ces ligues de vertu ou, pour mieux dire, de vertueurs saluant comme une victoire de la dignité des femmes le fait qu’une prostituée se présente à la police pour dénoncer le « harcèlement » dont elle aurait été l’objet ?
Non.
Le désir que l’on sent à l’œuvre dans cette avant-dernière phase de l’interminable et nauséeux feuilleton Strauss-Kahn est, qu’on le veuille ou non, un désir de meurtre symbolique.
Je regarde les photos de l’intéressé qui accompagnent la plupart de ces articles.
Je devine le choix qui y a présidé, les recadrages que l’on a opérés, le maquettiste à qui l’on a demandé un cliché bien pathétique où on le verrait mal rasé, seul à la terrasse d’un café, portant un pauvre panier de courses.
Je vois la jubilation avec laquelle est narrée la « descente aux enfers » (sic) de ce « mort-vivant » (re-sic) que serait devenu, à en croire les modernes greffiers de la police des mœurs citoyenne et sociale, l’ancien maître du monde.
Et j’observe comment les mêmes exultent, enfin, à l’idée de voir trancher, par la grâce d’un possible divorce, le dernier lien qui, dans leur vision du monde débile, retient ce fantôme à la vie.
On tournera l’histoire dans le sens que l’on voudra.
La vérité est que l’on veut Strauss-Kahn non seulement déchu, mais à terre.
Non seulement à terre, mais, comme je l’ai lu chez un commentateur que j’aurai la charité de ne pas nommer, plus bas que terre.
On le veut mort.
On veut ne rien manquer de cette mise à mort.
Il n’y a plus rien d’autre, dans cet universel reportage qui cerne « les » Strauss-Kahn, que le désir archaïque de voir un semblable acculé, humilié, exécuté en place publique, annihilé.
Et telle est, additionnée au fait que la justice américaine a déjà, en août 2011, prononcé un premier non-lieu, additionnée à la possibilité, nullement exclue, que la justice française innocente à son tour, par un second non-lieu, l’ancien directeur du FMI des crimes qu’elle lui impute mais que le Tribunal de l’Opinion a, lui, déjà jugés, l’autre raison qui me fait persister, par principe, à le défendre.
Hallalis et curées me font horreur.
La meute est la grimace de l’humain.
J’ajoute : quand tous se liguent contre un, il n’est pas rare qu’un jour ou l’autre, et quelques fautes qu’il ait commises, justice soit rendue à l’un.
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