« La Russie doit être défaite. Ni compromission ni délai. Des canons, des avions. Pour gagner et la guerre et la paix. » La puissante conviction de Bernard-Henri Lévy, soutenue par une diction qui évoque celle des films de Jean-Luc Godard ou de Jean-Marie Straub, enveloppe et conclut L’Ukraine au cœur, son troisième documentaire consacré à la guerre déclenchée par l’attaque russe de février 2022.

Attaché à jeter le trouble dans l’injuste sommeil des justes, ou plutôt dans celui des « assis », au sens où l’entendait Rimbaud, le philosophe poursuit sa collecte d’images et de témoignages qui obligent ses contemporains à comprendre et surtout à voir ce qui se joue du côté de Kherson, Marioupol, Donetsk et Kharkiv : le pire conflit sur le continent européen depuis 1945.

Bernard-Henri Lévy ne pouvait pas intituler son film L’Espoir. Mais la référence à la guerre d’Espagne, aux Brigades internationales et à André Malraux est tellement obsédante que le mot s’inscrit partout en arrière-plan de l’image de Marc Roussel. Et l’on ne peut pas songer sans effroi aux mots du roman de Malraux, publié à Paris en décembre 1937, au moment où commençait la bataille de Teruel : « Le destin lève son rideau de fumée pour la répétition générale de la prochaine guerre. »

L’Ukraine au cœur oblige à entendre le sens de cet adjectif, « prochaine », de manière terrible. Il qualifie non pas une guerre qui doit avoir lieu bientôt, mais un conflit qui est là, immédiatement, avec ses trous d’obus, ses bunkers, ses obusiers, ses postes de commandement, ses hélicoptères – superbe citation d’Apocalypse Now –, ses vivants et ses morts, ses cris de deuil, ses mutilés et ses éclopés.

En interrogeant longuement d’anciens soldats de Tsahal venus soutenir les Ukrainiens, Bernard-Henri Lévy a l’intuition de l’embrasement généralisé : Kherson, Bakhmout, et déjà Gaza, en attendant la suite, plus folle et plus atroce encore. Ici, c’est à Bernanos, aux Grands Cimetières sous la lune, que l’on songe : « Les massacres qui se préparent un peu partout en Europe risquent de n’avoir pas de fin, parce qu’ils n’ont pas de but. Ce sont des manifestations du désespoir. De ces antiques guerres de religion auxquelles nous nous trouvons parfois tentés de les comparer, ils ne garderont que l’apparence. » Car Poutine n’est pas un croisé, et sa guerre n’est pas une croisade. Voyez la façade de la cathédrale de la Transfiguration endommagée par une frappe russe à Odessa, la supplication des prêtres de l’Église orthodoxe d’Ukraine, les larmes des orphelins, les veuves embrassant les saintes icônes.

Bernard-Henri Lévy n’a pas honte quand il se surprend à dire une prière à l’Inconnu. Que ce soit devant le petit autel de fortune dédié à la mémoire de l’écrivaine Victoria Amelina, mortellement blessée, à 37 ans, par un missile russe, le 27 juin 2023 ; ou bien dans une synagogue de Dnipro, ville gardienne de la mémoire juive du pays. Par là, son film a quelque chose de fervent et de beau comme une oraison pour une fin de l’été.


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