La décision annoncée, ce lundi matin, par le président Hollande de “vols de reconnaissance” destinés à “permettre des frappes contre Daesh” en territoire syrien est une décision de bon sens. On ne pouvait pas continuer indéfiniment de frapper les djihadistes en Irak en s’arrêtant, absurdement, à la limite de l’État voisin.

Ces barbares sans frontières, on ne pouvait pas prétendre leur faire la guerre en évitant leurs centres de commandement, leurs bases logistiques, leurs camps de recrutement et d’entraînement pour coupeurs de têtes expédiés à l’étranger et, en particulier, en Europe qui sont, presque tous, situés de l’autre côté de la frontière, désormais fantomatique, qui sépara, naguère, les deux États baasistes.

Et cette décision, surtout, lève un doute qui ne pouvait pas ne pas affleurer quand on voyait, comme je l’ai moi-même vu, la semaine dernière, en suivant une partie de la longue ligne de front où les Kurdes d’Irak font face à la barbarie, tant d’armées coalisées piétiner, malgré leur puissance de feu, aux portes des territoires tenus par l’État islamique.

Lever un doute insupportable

Ce doute, un parlementaire français a mis des mots dessus en demandant, la semaine dernière, à la stupeur générale, si l’existence de cet État assassin n’était pas, à la fin des fins, un “élément stabilisateur” pour la région. La formulation était insupportable. Mais elle faisait écho à un raisonnement qu’il n’est pas rare d’entendre, en termes plus mesurés, dans la bouche de nombre de prétendus experts en “lutte antiterroriste”. Il consistait à dire : “Mieux vaut un État Daesh bien circonscrit, bien clos, cerné par des armées qui ne le laisseraient pas s’étendre davantage.” Il équivalait à s’accommoder d’une sorte de réserve, de poubelle à djihadistes, de déchetterie – et à sous-entendre que cela serait toujours préférable à un cancer éradiqué à la source mais diffusant ses métastases dans toute la région et au-delà.

Eh bien, c’en est fini de cet argument misérable.

Et c’est le mérite du tournant stratégique d’aujourd’hui que de sortir d’une ambiguïté dont les victimes étaient les chrétiens martyrs, les yézidis réduits en esclavage ou massacrés, sans parler des centaines de milliers de sunnites qui refusent, eux, cet ordre noir et dont on ne répétera jamais assez que l’exode (vers la Turquie, le Liban, la Jordanie et, de plus en plus, vers l’Europe) est le produit direct, non pas, comme nous le serinent les désinformateurs lepénistes et assimilés, des mauvaises-guerres-occidentales-qui-ont-déstabilisé-le-Proche-Orient mais, au contraire, de notre non-guerre, de notre non-intervention et de la folle politique de l’autruche qui fait que, depuis quatre ans et plus, les Occidentaux, les Turcs, le monde arabe ont laissé pourrir une situation qui ne pouvait, à terme, que nous conduire, tous, au pire.

Soutenir les combattants kurdes

Ce changement de cap, cela dit, ne vaudra et ne prendra tout son effet qu’assorti de trois corollaires dont il semble que le président français soit plus conscient que quiconque, mais dont il faudra qu’il convainque, sans tarder, ses alliés.

La première condition, qui tombe sous le sens mais qui ne sera pas la plus facile, pour autant, à prendre en compte, concernera les populations civiles dont Daesh se sert, en Syrie non moins qu’en Irak, comme autant de boucliers humains : il faudra tout faire pour les épargner et leur éviter un cauchemar redoublé.

La deuxième concerne les Kurdes qui sont, dans les deux zones, les seuls à avoir assez de vaillance pour oser faire face à ces soldats du califat dont je disais, ici même, la semaine dernière, les médiocres performances militaires : elles sont là, les troupes au sol que d’aucuns appellent de leurs voeux et sans lesquelles il est vrai que des frappes aériennes seront toujours, par définition, insuffisantes ; ils sont là, de Kirkouk à Kobané, ces combattants de la liberté qui sont nos alliés naturels dans cette bataille qu’on semble, enfin, prendre au sérieux ; seulement, il faudra les armer ; il faudra continuer de les armer et leur donner les moyens, tous les moyens, de défendre, à nos côtés, les valeurs de la civilisation et de la vie.

Pas de blanc-seing au régime

Et puis il y a une troisième condition, peut-être la plus importante, sur laquelle le président Hollande a eu bien raison d’insister avec force et qui sera de tout mettre en oeuvre pour que le fait de frapper Daesh n’apparaisse en aucune façon comme un blanc-seing donné à un pouvoir syrien dont il ne faudra jamais oublier : 1. qu’il a, sur la conscience, la bagatelle de 260 000 morts et de 3 millions de réfugiés ; 2. qu’il porte donc, et de loin, la responsabilité la plus écrasante dans la détresse des dizaines de milliers de familles en train d’affluer, de plus en plus nombreuses, vers les villes européennes ; et 3. qu’il ne saurait être, ni de près ni de loin, ni officiellement ni objectivement, un allié dans la lutte contre un djihadisme qu’il a cyniquement encouragé, alimenté en psychopathes tirés des prisons de Damas et lâchés dans la nature et, pour finir, épargné quand il concentrait ses tirs sur ses adversaires démocrates et laïques.

La voie est étroite, c’est évident.

Elle est bien plus étroite qu’il y a deux ans, ce fameux samedi d’août 2013 où Daesh n’existait pas encore, où l’opposition syrienne modérée avait encore assez de force pour être une alternative possible au désordre grandissant et où seule l’ahurissante volte-face d’Obama stoppa net l’opération décidée après que Bachar el-Assad eut allègrement franchi la fameuse “ligne rouge” de l’utilisation d’armes chimiques : cette opération aurait, si elle avait eu lieu, sauvé bien des vies et évité bien des souffrances !

Mais cette voie est la seule voie.

Et ce sera l’honneur de la France de la montrer.