Il y a quelque chose de navrant dans la façon dont est reçu le livre de Sylviane Agacinski. Car enfin voici une intellectuelle qui en est à son sixième ouvrage. Et voilà qu’elle donne ce texte-ci – voilà qu’elle ose donner, en son nom, son avis de citoyenne sur un événement dont elle fut, c’est le moins que l’on puisse dire, un témoin privilégié. Et, alors, quel tollé ! Quelle levée de boucliers ! Que d’insinuations plus vulgaires, oiseuses, les unes que les autres ! Comme si cette femme avait le droit de parler de tout sauf de ça. Comme si une femme de Premier ministre avait le droit, et même le devoir, de jouer à l’épouse exemplaire, de poser pour Gala et VSD, d’occuper un bureau dans l’antichambre de son mari, bref, de faire la potiche mondaine ou la dame de compagnie. Mais qu’elle s’avise de prendre la plume, qu’elle ose reprendre sa liberté de jugement et d’expression, et patatras ! on lui découvre un devoir de réserve ! et ce ne sont, partout, qu’interrogations dégoûtées, soupçons : qui parle à travers elle ? de qui est-elle la messagère sous contrôle ? ceci n’est pas un livre, mais un « signe », un « ballon d’essai », un « symptôme » et l’« intimité » (dixit Emmanuelli) de dame Agacinski ne nous intéresse pas. C’est dommage. Car j’avais, moi, de vraies objections à faire à ce « Journal interrompu ». J’aurais volontiers discuté ses attaques contre la presse ou contre la jeunesse devenues, sous sa plume, les boucs émissaires de la défaite. Mais non. Urgence et principes aidant, je n’ai d’autre choix que de dire à l’auteur ma solidarité, ma sympathie.

Même chose, dans un autre ordre d’idées, pour Frédéric Beigbeder et sa nouvelle émission, « Hypershow». J’étais à Kaboul quand l’émission a commencé. Je n’ai donc pas vu les gros dérapages des débuts. Et, aujourd’hui encore, je lui ferais bien quelques observations sur certaines de ses mises en scène et quelques-uns de ses gags. Mais, de nouveau, la question n’est pas là. Car il règne autour de cette affaire un climat délétère qui ne se prête guère à la discussion sereine. Fait-on payer à l’auteur de 99 francs son insolence ? Ses succès ? Est-il victime de cet enchaînement que je connais, hélas, un peu : les livres qui marchent, la vie qui va, un air de liberté et même de bonheur qui a toujours le don d’agacer et puis, soudain, le très léger faux pas qui fait que l’on s’expose, seul, sans trop de précautions, sur un terrain moins familier où les vieux adversaires vous attendent et vous flinguent ? Ou bien serions-nous victimes, tous, d’une passion moins maligne mais tout aussi dévastatrice : la nostalgie d’un temps dont nous refuserions d’admettre qu’il est, définitivement, perdu – celui, en gros, du Canal historique, du bon vieux « Nulle part ailleurs » et, donc, de notre jeunesse. Réveillez-vous, amis téléspectateurs ! Les années 80 sont finies. Beigbeder n’est pas coupable de n’être ni Gildas ni de Caunes. Reviendraient-ils, d’ailleurs, que vous les trouveriez eux aussi, j’en prends le pari, vulgaires, scatos, etc. Et puis il y a tant d’émissions nulles, il y a tant de « Qui veut gagner des millions ? » qui ne gênent apparemment personne dans cette France lourdement raffarinée, que vous pourriez, au moins, aller y voir. Branchez votre télé, un de ces soirs, entre 18h30 et 19h30, jugez sur pièces.

Hachette, enfin. Cela peut sembler bizarre de voir apparaître Hachette dans un Bloc-notes consacré, somme toute, aux mauvais procès de la semaine. Et pourtant… Quel vent de folie, à nouveau, depuis que Jean-Luc Lagardère s’est déclaré candidat au rachat du pôle édition de Vivendi ! Voilà des gens qui semblent ne rien trouver à redire au fait que le Larousse ou le Robert tombent entre les mains de fonds financiers anglo-saxons. Voilà des défenseurs de l’exception culturelle qui ont l’air de trouver normal que des capital-risqueurs, animés par la même logique de plus-value financière à court terme qui a mené Messier au bord de la faillite, fassent main basse sur des pans entiers de notre patrimoine culturel. Mais qu’un grand groupe français prétende se substituer à eux, qu’un éditeur, un vrai, vieux de cent et quelques années, fasse une offre de reprise qui préserve l’âme des maisons, leurs personnels, leurs métiers, et c’est la levée de boucliers, le tollé, les vieux fantasmes qui ressortent, la pieuvre verte, etc. On peut, bien entendu, débattre. Et on peut même préférer, par principe, les petits éditeurs aux gros. Mais on n’a pas le droit, face à des enjeux si sensibles, de proférer des contre-vérités. On n’a pas le droit de nous raconter qu’Hachette, qui contrôlerait, en cas de succès, un tiers de l’édition française, serait en position de « monopole ». On n’a pas le droit de prétendre que cet Hachette qui serait, alors, moins gros que Mondadori en Italie, que Planeta en Espagne, que Random House aux États-Unis, créerait un régime de concentration « unique au monde ». Et, à propos d’un éditeur qui, cela va sans dire, mais la mauvaise foi est telle que cela va visiblement mieux en le disant et, dans mon cas, en en témoignant, d’un éditeur qui fiche une paix royale à ses auteurs, qui les laisse travailler comme bon leur semble et qui respecte tout naturellement leur liberté, on n’a pas le droit d’insinuer qu’il représente une menace – sic – pour la liberté d’écrire et de penser. Halte, là aussi, au procès d’intention. Halte à la désinformation.


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