Quand j’ai reçu le livre d’Amir Jahanchahi, L’Hitler iranien (Gawsewitch), son titre m’a fait sursauter et je me suis aussitôt demandé si l’auteur n’y allait pas quand même un peu fort. Lecture faite, je suis rassuré. D’abord parce que les rapprochements qu’il opère entre les années 1930 et notre époque (la politique d’apaisement face au nazisme et face, aujourd’hui, au djihadisme d’État et à son bras armé du Hezbollah) sont, hélas, et toutes proportions gardées, terriblement troublants. Mais ensuite, et surtout, parce qu’il n’y a pas trente-six manières d’appréhender le phénomène de l’islamisme totalitaire tel qu’il règne, en particulier, sur l’Iran d’Ahmadinejad. Ou bien on insiste sur le côté islam ; on met l’accent sur la foi devenue folle et sur le fait qu’on y tue et règne au nom de Dieu ; et en avant la guerre des dieux, le choc des religions et des civilisations – le pire ! Ou bien on veut conjurer cela ; on sait qu’il faut tout faire pour éviter de réduire la chose à une guerre de religion ; et au lieu du côté islam, on insiste sur le côté totalitaire et on met la politique, par conséquent, à la place de la théologie en faisant de l’islamisme radical un cas particulier, une variante, une queue de comète, de ce phénomène mondial que fut, il y a presque un siècle, le fascisme. Pourquoi l’Europe, après tout, aurait-elle le monopole du fascisme ? Et pourquoi le monde arabo-musulman serait-il le seul, inversement, à faire l’économie de ce douloureux mais nécessaire travail de deuil qu’ont fait, bon gré mal gré, les Européens? C’est la question de Jahanchahi. C’est la mienne depuis des années. Puissent les démocrates, les citoyens, les libres esprits du nouvel Iran y répondre sans tarder. Et sans que la course à l’arme atomique n’ait fini, entre-temps, d’embraser la région : c’est l’autre obsession de ce livre vibrant, frémissant, terrifiant – et utile.

Mohamed Sifaoui est ce journaliste intrépide qui défraya la chronique, il y a dix ans, en infiltrant une cellule terroriste en région parisienne et en relatant l’aventure dans un livre (Mes frères assassins, Le Cherche Midi). Puis, quelques années plus tard, en partant à la recherche d’un Ben Laden terré entre Pakistan et Afghanistan et qu’il est le seul reporter à avoir, à ma connaissance, en tout cas dans les années récentes, réussi à approcher d’aussi près (« Sur les traces de Ben Laden », M6, 2003). Aujourd’hui, troisième acte, il pousse un peu plus loin l’audace en donnant, avec le dessinateur Philippe Bercovici, une désopilante bande dessinée dont le même Ben Laden est le sujet et d’où il sort en loques. Un Ben Laden grotesque, cette fois. Un Ben Laden dérisoire et minable. Un tout petit Ben Laden qui, arrêté par les Américains, puis interrogé par eux, apparaît pour ce qu’il a toujours été : un grand criminel certes, mais aux mobiles ordinaires, à la veulerie non moins ordinaire, et qui instrumentalise la religion au bénéfice de menées classiquement mafieuses. Le résultat est une désacralisation totale du personnage. Un coup de canif dans la baudruche qu’ont gonflée la crédulité des uns, la lâcheté néomunichoise des autres, la fascination terrifiée des troisièmes. Et c’est, au fil des « planches », tout un réseau de figures connexes (tel dirigeant soudanais ; le négationniste Dieudonné ; l’as du double langage, Ramadan ; ou encore le petit gourou de la secte conspirationniste, Thierry Meyssan) qui en prennent aussi pour leur grade et se trouvent pareillement ridiculisés. Le fanatisme soluble dans l’humour ? Le terrorisme dans la dérision ? Et se pourrait-il que toutes les opérations de désinfomation engagées depuis le 11 Septembre (Ben Laden, agent américain… les mystères d’Al-Qaïda…) soient, aussi, justiciables d’un sain et bon éclat de rire ? Peut-être, oui. Voir Sifaoui.

Quand ces lignes paraîtront, il ne restera plus que quelques heures – peut-être, s’il ne passe pas au premier tour, quelques jours – pour savoir si Farouk Hosni est élu, ou non, à la direction générale de l’Unesco. Au point où nous en sommes je n’ai rien à ajouter à ce que j’écrivais la semaine dernière et que n’ont fait que confirmer depuis, aux États-Unis comme en Europe, la plupart des gens sérieux qui se sont penchés sur le dossier. À partir de quoi, de deux choses l’une. Ou bien les petits calculs l’emportent sur les grands principes ; le Monstre froid étouffe la protestation, en Égypte et dans le monde arabe non moins qu’en Occident, des hommes de culture ; et il ne leur restera que l’amère satisfaction d’avoir eu raison trop tôt en annonçant ce qui, très vite, apparaîtra comme un désastre. Ou bien ils sont entendus ; tant les représentants de l’Europe que ceux de la Ligue arabe et de l’Union africaine comprennent que le pire service à rendre à la cause du dialogue des civilisations serait d’élever à ce poste, au seul motif qu’il représenterait le « monde musulman », un antisémite doublé d’un censeur, d’un chasseur d’internautes et de blogueurs, ainsi que, last but not least, d’un gestionnaire de patrimoine culturel apparemment peu scrupuleux ; et, se mettant d’accord sur un candidat de compromis qui pourrait être le Tanzanien Sospeter Muhongo, ou le Béninois Nouréini Tidjani-Serpos, ils sauvent à la fois l’honneur et les chances de ce dialogue Nord-Sud si vital pour l’avenir. Nous en sommes là. À chacun, à partir de là, d’assumer ses responsabilités et de prendre date.


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