Rien n’arrête Bernard-Henri Lévy. Lancé et d’emblée glorieux comme « nouveau philosophe », l’ex-poulain de Françoise Verny est aussi romancier, d’emblée primé (prix Médicis pour son premier roman Le Diable en tête et prix Interallié pour Les Derniers Jours de Charles Baudelaire), journaliste (il a fondé il y a deux ans la revue La Règle du jeu), essayiste, critique d’art (avec un livre sur Piero della Francesca et Mondrian) et même homme de télé (il a adapté pour le petit écran ses Aventures de la liberté).

Porte-drapeau médiatique de tous les combats pour les droits de l’homme, il a, nul ne l’ignore, le verbe facile, le cheveu long romantique et la chemise blanche largement ouverte et partage, il ne le cache plus, la vie d’une comédienne, Arielle Dombasle, aux activités également multiples puisqu’elle est également chanteuse et cinéaste. Rien d’étonnant, dès lors, de voir aujourd’hui BHL proposer sa première pièce de théâtre, avec, bien sûr, un rôle pour Arielle.

Voilà, c’est fait, la générale offrait, mardi soir, une salle exceptionnelle, écrivains, politiques, capitaines d’industrie, vedettes du petit écran et du grand assises côte à côte dans l’ancien théâtre de Dullin, un public en or applaudissant chaque tirade, comme au music-hall… Après le brouhaha de l’événement tout-parisien, Le Jugement dernier attend maintenant le jugement du public. Il sera, sans doute, mitigé.

Une chose est certaine : on ne peut pas accuser BHL de reniement. Fidèle à ce qui le fait courir, il reprend pour ses débuts au théâtre les grands thèmes qui assurent depuis toujours le substrat de son œuvre et de son image : l’abomination du communisme et du totalitarisme sous toutes ses formes, et le débat sur la fin de l’histoire.

Il y ajoute ici, c’est plus nouveau, la dénonciation du dérisoire impact du « charity business », n’oublie pas bien sûr le hideux racisme ordinaire des petits-bourgeois conservateurs, ni l’ambiguïté d’une église qui mange à tous les râteliers : il est là tout entier, le pourfendeur de toutes les formes de barbarie à visage humain. Tout le problème est de faire, de tous ces thèmes nobles, un spectacle… Et c’est là que le bât blesse.

BHL imagine un metteur en scène passé de mode et qui joue ici sa réputation, montant, flanqué d’une assistante qui est aussi sa maîtresse, un spectacle sur, précisément, « la fin de l’histoire ». Et auditionnant, pour ce faire, un certain nombre de comédiens qui sont, en fait, de vrais personnages du vingtième siècle (merci Pirandello !). Chacun vient donc raconter sa vie, l’aristocrate tsariste devenue secrétaire-infirmière de Lénine, le chef de gare d’Auschwitz, le professeur de Pol Pot, le cardinal, éminence grise et mafieux du Vatican, le Français moyen entre Pétain, de Gaulle et Le Pen, maire, pour faire bonne mesure, de « Saint-Chamind », le chanteur de rock spécialiste du « charity business » et du journal télé de 20 heures, et enfin le jeune Chinois qui naguère, sur la place Tiananmen, arrêta le char de la répression: sept personnages en quête de metteur en scène, tous hommes et femmes ordinaires qui symbolisent, pourtant, toutes les horreurs du siècle.

Une longue succession de monologues

Malheureusement, cette sorte de « Musée Grévin de la mémoire » devient, un peu… musée Grévin tout court. Car l’auteur, avec sa construction linéaire, ne parvient pas à édifier une vraie pièce : la soirée n’est qu’une longue (plus de trois heures) succession de monologues. Une revue, en quelque sorte, certes mise en scène (pour de vrai) avec intelligence et invention par Jean-Louis Martinelli, dont on a applaudi en début de saison L’Église de Céline à Nanterre, mais au déroulement très inégal.

Le début séduit. Il est vrai que Gisèle Casadesus est exquise de pudeur délicieuse dans le récit de ses massages du ventre de Lénine, et que Jacques François en prof des futurs Khmers rouges est irrésistible de snobisme bredouillant. Les autres « numéros », surtout après l’entracte, tournent aux plaisanteries de cabaret, comme les onomatopées du chanteur ami de « Médecins de tous bords » et la conversation entre Sartre et Aron sortant de l’Élysée, un peu gâteux, parlant des femmes…

Et puis, BHL ne sait visiblement pas comment terminer son exposé. Il a choisi une scène de ménage entre le metteur en scène (Pierre Vaneck, très bien dans sa chemise blanche largement ouverte) et son assistante (Arielle Dombasle, Barbarella perruquée à la Cléopâtre, moins convaincante), prétexte à une vibrante déclaration d’amour et, en même temps, à une auto-mise en boîte, BHL, à travers son personnage, se moquant de lui-même avec force clins d’œil pour initiés, ou se posant, en somme, comme un incompris mal aimé : le soufflé, déjà non exempt de grumeaux, clichés et facilités racoleuses, s’effondre un peu.

Mais soyons honnête, au-delà de la raillerie facile : on ne s’ennuie pas, on rit souvent et ensuite on y repense. Ce qui n’est pas si mal…


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