Ce qui n’est pas supportable, c’est d’entendre partout répéter que l’Amérique, avec le carnage du World Trade Center, n’a eu que ce qu’elle méritait et qu’elle paie son arrogance.
Ce qui n’est pas supportable, c’est l’idée, méprisante pour les intéressés, raciste, que le terrorisme kamikaze serait le dernier recours des démunis et l’islamisme radical l’anti-impérialisme des Arabes.
Ce qui n’est pas supportable, ce sont les déclarations de Noam Chomsky voyant en Ben Laden (interview à Radio Belgrade, reprise dans Libération du 6 octobre) un homme « opposé aux régimes corrompus et répressifs de la région, scandalisé par le long soutien des États-Unis à Israël ».
Ce qui n’est pas supportable, c’est, d’une façon générale, le long murmure qui monte, presque partout, et qui fait d’Israël – non seulement sa politique, mais son existence même – la source du terrorisme et, donc, de tous nos maux.
Ce qui n’est pas supportable, c’est le nombre de crétins qui vont partout répétant : « rien ne serait arrivé si Israël avait donné un Etat aux Palestiniens » : Israël l’a donné, cet Etat ; c’est un fait que Barak, à Camp David, il y a un an, a fini par le donner, et que ce sont les Palestiniens qui, alors, l’ont refusé ; et cela n’a évidemment rien changé au déferlement qui se préparait.
Ce qui n’est pas supportable, c’est d’entendre poser, sur la désormais fameuse chaîne Al-Jezira, la question : « à qui profite le crime » – et ce qui est carrément abject c’est de voir le présentateur de ladite chaîne prétendre que, comme par hasard, des milliers de juifs américains ne seraient, le matin du 11 septembre, pas allés à leur bureau du World Trade Center.
Ce qui n’est pas supportable, c’est de lire partout « la CNN arabe », ou « la chaîne indépendante en continu Al-Jezira », alors qu’il serait tellement plus simple de dire : « la chaîne de Ben Laden ».
Ce qui n’est plus supportable, c’est la quantité croissante d’anti-Américains pavlovisés qui vont partout répétant : « Bush le cow-boy… Bush le boucher… l’Amérique et les gros sabots de Bush… », quand ce qui frappe, c’est, qu’on le veuille ou non, la mesure, la retenue, l’habileté tactique et stratégique dont fait preuve, à l’heure où j’écris, mercredi matin, la riposte de George Bush.
Ce qui n’est pas supportable, c’est l’idée, ressassée jusqu’à la nausée, d’une Amérique lancée dans une croisade globale contre l’islam et les musulmans : qui, sinon l’Amérique, a volé au secours des musulmans de Bosnie ? du Kosovo ?
Ce qui n’est pas supportable, c’est la fausse symétrie Bush-Ben Laden – ce qui n’est pas supportable, c’est, comme par exemple Toni Negri, de renvoyer dos à dos taliban du pétrole et du dollar et de confondre, de la sorte, un injustifiable massacre et un acte de légitime défense.
Ce qui n’est pas supportable, c’est d’entendre un candidat à la présidence de la République, Jean-Pierre Chevènement, dire que Talamoni est un Ben Laden corse (ainsi que, bien entendu, un Premier ministre en exercice, Ariel Sharon, renvoyer le compliment à Arafat).
Ce qui n’est pas supportable, c’est de nous présenter Tony Blair en valet des Américains au moment même où il trouve des accents churchilliens qui font cruellement défaut, pour l’instant, au reste de l’Europe.
Ce qui n’est pas supportable, c’est la bêtise de Berlusconi disant la « supériorité » de la civilisation occidentale ; mais ce qui est tout aussi insupportable c’est de nier que les civilisations de l’espace arabo-musulman gagneraient en excellence si elles adoptaient enfin, et en masse, les principes de libre examen, laïcité, tolérance, séparation des cultes et de l’Etat auxquels l’Occident, lui, au terme d’un long combat, s’est rallié.
Ce qui n’est pas supportable, c’est, nous l’avons tous assez dit, l’amalgame entre islam et islamisme ; mais ce qui ne serait pas non plus supportable, ce serait de voir l’islam, au nom du non-amalgame, se refuser à l’examen de conscience puis à l’aggiornamento auxquels les autres grands monothéismes se sont astreints depuis quelques siècles – ce qui est insupportable, et navrant, c’est qu’il se soit trouvé, depuis le 11 septembre, en Europe comme dans le monde arabe, si peu d’oulémas, d’intellectuels, d’autorités spirituelles, morales ou politiques de l’islam, pour dire avec force que les taliban sont des fascistes verts, que le martyre des kamikazes n’est pas le chemin du paradis et que les appels au meurtre du gourou d’Al-Qaeda, dimanche dernier, étaient une insulte au message de miséricorde du Coran.
Ce qui n’est pas supportable, c’est le parfum de ratonnade que l’on a senti monter, dans certaines métropoles occidentales, au lendemain du 11 septembre ; mais ce qui n’est pas moins insupportable c’est qu’il se trouve, dans les banlieues, des hommes et des femmes pour voir en Ben Laden un saint ou un héros.
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