Le président Macron a eu raison.
Le sort en est jeté et nous saurons, de toute façon, très vite si cette dissolution est suicidaire, si c’est un pari fou, un coup de dés qui jamais n’abolira la nécessité des urnes, si son auteur, comme je le lis partout, est kamikaze, Érostrate jouant avec le feu, Machiavel – ou si, au contraire, il a raison et a répondu au moment historique par un acte politique à la hauteur béante du gouffre qui s’est, dimanche, ouvert sous nos pas.
Mais, pour moi, les choses sont claires.
C’est une vague populiste qui, d’élection en élection, en France mais aussi ailleurs, monte depuis des décennies.
Tantôt ce sont les gueulards antisémites de la bande à Mélenchon que la voix des urnes a provisoirement recadrés.
Tantôt c’est l’autre fatale baudruche, celle de la bande à Le Pen, remplie d’autant de fiel et d’immondices que les ballons envoyés par Kim Jong-un au-dessus de la Corée du Sud, qui, en comptant son clone maréchalesque, frise les 40 % du corps social.
Et il y avait, face à cette poussée, deux attitudes possibles et deux seulement.
Soit faire l’autruche.
Trois ans de plus, monsieur le bourreau.
Ils passeront, les amis de Kim, de Bachar et de Poutine ; nous nous sommes faits à cette idée, ils passeront ; mais pas par moi, s’il vous plaît ; pas ce coup-ci, je vous en supplie ; c’est comme la spirale de la dette, la bulle spéculative des marchés, le typhon annoncé et inexorable, le Titanic cinglant vers l’iceberg, la patate chaude : on sait que ça va exploser – mais on prie le dieu des orages d’avoir l’obligeance de faire que ça éclate à la gueule du suivant.
Soit faire face.
La corne du taureau de L’Âge d’homme ou « la Bête de l’événement » de Macron lui-même (il songeait, disant cela, aux pandémies, au retour de la guerre en Europe et, aussi, à la déferlante des populismes…) enfin prises à bras-le-corps.
Et, alors, une dissolution comme une question adressée à cette France qui doute, a perdu ses boussoles et semble, comme à l’accoutumée, résignée à son étrange défaite : voulez-vous vraiment ce que vous voulez ? les voulez-vous, ces incapables, ces irresponsables, ces idiots utiles de la Russie, ces démagogues, ces anciens gudards, ces xénophobes de toujours, ces héritiers d’un parti qui dit avoir changé, comme on change de souliers, sur la question existentielle de l’antisémitisme ? êtes-vous réellement entrés, un à un, dans les isoloirs de la République, pour dire : je veux vivre un moment illibéral, réactionnaire, raciste ? je veux une saison punitive, marquée au fer du ressentiment, de la guerre sociale, de la haine ? je veux des maîtres et des chaînes, des triques et des fouets ? je veux que cesse le rêve qui, des Capétiens à de Gaulle, des jacqueries aux révolutions, des troubadours aux surréalistes, s’est appelé la France ?
Si oui, les choses sont simples : votez, dès aujourd’hui, Le Pen et Bardella ; résignez-vous à leur incompétence, à leur vulgarité d’âme, à leur nullité, à leur vacuité, à leurs candidats trop nombreux pour avoir été tous ripolinés ; continuez, au passage, de répéter, comme des disques rayés, c’est la faute à Macron, Jupiter que l’on croyait phénix mais qui n’aurait été qu’un éphémère, condamné à brûler en torche sous le regard de ses adversaires, après de beaux battements d’ailes le temps d’un court lever de soleil ; et, demain, en réaction, dans le bateau ivre que sera devenue la France, vous voterez pour les faux insoumis, les braillards revigorés, de LFI.
Si non, c’est également très simple – ce n’est même plus confus, inextricable, vertigineux, etc., c’est très simple : chacun prend sa part de responsabilité dans ce désastre lent ; on arrête avec l’imbécillité politicienne qui fait dater d’hier ou avant-hier la décomposition d’un peuple travaillé, depuis trop longtemps, par le poison lent de deux populismes jumeaux, également nihilistes et qui en appellent, symétriquement, aux pires instincts des sociétés ; et nous sommes alors des millions et des millions à venir dire, dans trois semaines, non pas « enfer ou ciel qu’importe », mais « gauche sociale-démocrate, centre, droite modérée, qu’importe, pourvu que nous options, non pour la mort certaine, mais pour la survie et le sursaut ».
Ce n’est pas le soldat Macron qu’il faut sauver puisqu’il est, de tous les acteurs, le seul dont l’agenda politique s’arrête.
C’est le soldat République et c’est le soldat France puisque nous sommes à deux doigts de voir, presque un siècle après Vichy, et pour la première fois par les urnes, l’extrême droite prendre le contrôle de l’Assemblée nationale et de l’Élysée.
La France est forcée à l’Histoire.
Elle est contrainte de radiographier son âme, de se mettre en règle avec ses arrière-pensées, de se poser.
Par-delà l’inévitable tumulte et vacarme, dans le fortissimo de ce concert de passions tristes chauffées à blanc, c’est à un moment de gravité, de suspens des bassesses et des calculs, d’exercice honnête de la pensée, que nous sommes, tous et chacun, requis.
C’est un moment terrible.
Mais c’est un moment de vérité.
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