Trilingue, avec une couverture recto verso – en français et dans les deux langues afghanes, le dari et le pachtou –, un nouveau mensuel vient de sortir à Kaboul : Les Nouvelles de Kaboul. Il arrive sur le marché d’un Afghanistan toujours pauvre en publications, qui plus est non partisanes, quelques mois après la réapparition du Kabul Weekly. Cet hebdomadaire quadrilingue – dari, pachtou, anglais et français – banni par les talibans avait été relancé en début d’année avec l’aide de l’Unesco et de Reporters sans frontières (« Kiosque » du Monde du 9 février).
L’ambition du photographe Reza Deghati, plus connu sous le nom de Reza et fondateur de l’organisation non gouvernementale Aïna, qui rassemble un groupe de journalistes passionnés par l’Afghanistan, est, comme il l’écrit dans son premier éditorial, d’« aider au développement d’autres médias indépendants et à la renaissance culturelle du pays ». Car, pour Reza, qui a bien connu le commandant Massoud, assassiné le 9 septembre 2001, « médias et culture sont deux piliers essentiels et indispensables à l’élaboration d’un pays libre et démocratique ». D’où la création des Nouvelles de Kaboul, mais aussi d’un magazine pour enfants, Parvaz, et surtout d’un Afghan Media and Culturel Center, ayant pour mission de former de nouveaux journalistes et de donner aux anciens les moyens de mieux travailler.
Autre cheville ouvrière du projet, Bernard-Henri Lévy, qui a accordé aux Nouvelles de Kaboul le financement de la Fondation André-Lévy, écrit un éditorial et aidé à rassembler une brochette impressionnante de signatures pour ce premier numéro. Qu’on en juge : Jacques Chirac, Dominique de Villepin, ministre des Affaires étrangères, le président Hamid Karzaï, l’écrivain Atiq Rahimi, Bernard Kouchner, Alexandre Adler… le prix de quatre pains.
En créant « un vrai journal », BHL a voulu, dit-il, faire « un pari » sur la liberté, susciter « un journal comme un aiguillon » dans un pays où cette tradition était, pour le moins, embryonnaire quel qu’ait été le régime. Un journal mis sur pied en deux mois, comme l’explique son premier rédacteur en chef, Olivier Puech, du Monde interactif, qui a profité de ses vacances pour prendre part à cette naissance à Kaboul. Un journal tiré à un peu plus de mille exemplaires et qu’il demande de regarder avec indulgence étant donné les délais et les conditions de son élaboration. Au point, raconte-t-il, que la mention du prix a disparu à l’impression : 8 000 afghanis, environ 0.20, soit le prix de quatre pains.
Sur les quatre séquences – Culture, Afghanistan, International et Opinion –, ce sont surtout les deux dernières qui sont destinées aux Afghans. L’information étrangère est rare, la possibilité de débattre librement, un mois en dari, un en pachtou, également. Olivier Puech raconte cette anecdote éclairante sur les peurs qu’éprouvent les journalistes après vingt-trois ans de guerre dans un pays où les puissants n’ont jamais admis la critique : chargé d’enquêter sur la déforestation, un reporter afghan était revenu à la rédaction avec son reportage, dont une partie était assez floue. Il expliqua que le directeur des forêts du ministère de l’agriculture n’avait pas voulu que l’on parle de ce sujet et qu’il avait dû obtempérer. Il retourna le voir plus tard pour lui dire que, s’il refusait de répondre, cela serait indiqué dans l’article. Et il obtint une réponse.
Rentré à Kaboul après dix-huit ans d’exil, Atiq Rahimi veut ouvrir une Maison des écrivains. Il explique : « Aujourd’hui, tout le monde se précipite à Kaboul pour reconstruire. On rebâtit sur les anciennes fondations : que ce soient les maisons, les immeubles, l’Etat ou la culture. Sur des fondations bancales. Il faudrait avoir le courage de jeter de nouvelles fondations. Sinon, tout va être de nouveau bancal. Et la culture est un des piliers importants des fondations de la nation afghane. »
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