C’est le meilleur premier roman de la rentrée, mais l’ambition de Bernard-Henri Lévy en publiant Le Diable en tête ne s’arrête pas là. Le chef de file des « Nouveaux philosophes » a le désir de laisser sa trace comme Sartre et Malraux, sans pourtant les prendre pour modèles, même si les romans pour midinettes du premier et l’homme d’art et de songes qu’était le second l’ont influencé.

Faisant de la philosophie « faute de mieux », pour témoigner du temps qui passe et s’efforcer de poser les grandes questions qui agitent ses contemporains, Bernard-Henri Lévy avait en trois essais, La Barbarie à visage humain, Le Testament de Dieu, L’Idéologie française, trouvé un ton de gourou moderne. Avec intelligence et le goût de la provocation, il apostrophait les milieux intellectuels sur des thèmes aussi polémiques que le marxisme, le judéo-christianisme, le fascisme. Grâce à son look romantique et à un sens inné du spectacle médiatique, il apparaissait en quelques années comme la relève fringante des vieilles barbes de la philosophie

Un enfant du siècle

Pour la circonstance, l’entrée en littérature romanesque de BHL ne pouvait pas passer inaperçue, d’autant qu’il était attendu au tournant. Deux mois avant la sortie du livre, la rumeur faisait de ce débutant célèbre l’auteur à encenser ou à abattre, selon les cas. Il était évident que la critique aurait du mal à garder son sang-froid pour apprécier à sa juste valeur l’œuvre d’un personnage aussi controversé. Le Diable en tête, nourri des précédents ouvrages de Lévy, ne mérite à mon avis ni termes dithyrambiques ni paroles fielleuses, simplement des éloges mesurés, afin de souligner le talent d’un écrivain qui a mis ses idées en roman feuilleton.

Notre agrégé de philo, ancien de Normale sup, devait avoir la nostalgie des grands récits d’aventures quand il s’est lancé dans cette fresque divisée en cinq parties, au centre de laquelle évolue Benjamin C., marqué par la fatalité d’un destin pervers. (Son père « collabo » fut condamné à mort et exécuté à la Libération.) À travers le journal de sa mère, l’interrogatoire de son beau-père, des lettres d’une de ses maîtresses, le témoignage d’un étrange avocat, enfin sa propre confession, ce héros, mélange d’Adolphe et de Fantômas, est victime d’un violent conflit spirituel qui naît du désir d’agir et de la connaissance des erreurs du monde.

Bernard-Henri Lévy qui, en mai 1968, depuis sa chambre de fils de famille, avec un transistor et une carte d’état-major de Paris, suivit avec une attention passionnée et distante les jeux et les enjeux de la bataille des rues, permet à Benjamin de parcourir à grandes enjambées l’itinéraire risqué d’une époque douloureuse où un terrorisme international met en péril les lois démocratiques.

À lire Le Diable en tête, on imagine déjà le film qu’en ferait Claude Lelouch avec, en apothéose, la rencontre à Jérusalem entre l’auteur et son héros solitaire, car BHL, sans se nommer, est l’enquêteur qui a rassemblé les d’une vie d’un enfant du siècle en proie aux démons de l’Histoire.


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