Bernard-Henri Lévy revient de « la maison du Diable ». Daniel Pearl, lui, n’en a pas réchappé. L’envoyé spécial du Wall Street Journal, à la disparition duquel l’écrivain consacre une enquête fouillée et terrifiante, a été enlevé et décapité, à la fin janvier 2002, à Karachi, par des islamistes radicaux. Les deux hommes ne se connaissaient pas. Par-delà la mort, pourtant, le François a noué avec l’Américain un sentiment d’amitié, presque d’intimité.

Pendant un an, il emboîte ses pas sur ceux de « Danny », cherchant à comprendre qui il était et pourquoi on l’a tué. Il se sent proche de ce « juif ouvert », sans a priori sur le monde musulman. Il se met dans sa peau, jusqu’à imaginer les impressions du supplicié au moment de sa mise à mort. C’est le chapitre le plus trouble, peut-être le plus insupportable du livre.

Mais Bernard-Henri Lévy veut aussi connaître les motivations du bourreau. Il se glisse dans « la tête du Diable ». Plusieurs groupes ont collaboré à l’assassinat du reporter. Mais un homme, Omar Sheikh, se trouve à leur confluence. Cet Anglais d’origine pakistanaise, étudiant brillant à la London School of Economics, a basculé dans l’intégrisme islamique à Sarajevo, au moment où l’écrivain s’y trouvait. Pour le philosophe, le destin de « cet assassin qui nous ressemble » incite à s’interroger sur l’étroitesse de la marge entre le Bien et le Mal.

Mais c’est quand l’écrivain se fait grand reporter que sa démarche devient fascinante. Il se met à l’école d’un Norman Mailer et entend faire de son livre un « hommage aux journalistes ». Comme Pearl, il progresse par étapes, dans un monde hostile, où « le silence, la dissimulation, le double langage » sont de règle. Il cherche son chemin dans le dédale des organisations-écran, des hommes de paille ou de main, dont les noms changent constamment. Il prend, de toute évidence, des risques. « Plus j’avance, reconnaît-il, moins j’ai de certitudes. » Plutôt que des réponses aux questions sans cesse renouvelées, qui finissent par former un faisceau de présomptions.

Les assassins sont parmi nous

De cette quête incertaine, il sort « éprouvé, épouvanté, stupéfait ». Ce qu’il croit comprendre est renversant. Omar, l’assassin, à la fois membre éminent d’Al-Qaïda et agent de l’ISI (Interservice Intelligence Agency), les services secrets pakistanais, serait considéré par Ben Laden comme son « fils préféré ». Son enquête mène Bernard-Henri Lévy au carrefour de toutes les pistes du terrorisme islamique, y compris de l’attentat du 11 septembre 2001, à Manhattan.

Reste à savoir pourquoi Pearl a été victime d’un crime « voulu et couvert par l’État pakistanais ». L’écrivain formule deux hypothèses hallucinantes. Selon l’une, le journaliste était sur le point de révéler le nom du « parrain » pakistanais de Ben Laden. Selon l’autre, Pearl allait établir que le père de la bombe atomique pakistanaise s’apprêtait à transmettre à Al-Qaïda, dont il serait membre, de terribles secrets.

Il n’est pas nécessaire de se convaincre de la réalité de ces révélations pour partager deux certitudes de l’écrivain-reporter. Désormais, assure-t-il, « je sais que les assassins sont parmi nous ; ils ont pignon sur rue à Londres, Paris, Washington ». Et puis, ajoute-t-il, « les Américains, en attaquant l’Irak, se sont trompés d’État-voyou ; la vraie triade noire d’aujourd’hui, c’est le Yémen, l’Arabie saoudite et le Pakistan, tous alliés des États-Unis ».

De ce livre riche, puissant, dont l’auteur est un personnage à part entière, il ressort que la lutte entre l’ombre et la lumière, entre ceux qui dialoguent sera « la grande affaire de ce siècle qui commence ».


Autres contenus sur ces thèmes