Bernard-Henri Lévy n’est certes pas un intellectuel « normal ». Non du fait des valeurs qu’il professe, lesquelles s’inscrivent somme toute dans le registre classique de la défense des droits de l’homme. Mais parce que considérant peut-être lui aussi, comme l’un de ses anciens condisciples, que les « philosophes n’ayant fait qu’interpréter le monde il s’agit maintenant de le transformer », il s’applique à prendre les idées au mot et à les faire entrer dans la réalité. Son dernier film, Le serment de Tobrouk, est l’illustration même de cette volonté incongrue et transgressive. Peut-on être à la fois penseur et homme d’action ? Écrivain et cinéaste ? Muter allègrement du Café de Flore à la ligne de front comme on passe devant et derrière la caméra ?
Amateur des paris impossibles et combattant des causes perdues, BHL nous avait déjà livré un incroyable témoignage sur les coulisses de la décision politique internationale à travers son livre sur la Libye, La Guerre sans l’aimer. Il nous avait montré comment le destin d’une population assiégée ne tient parfois qu’à un « coup de fil » (en l’occurrence celui qu’il a passé au culot, à peine arrivé à Benghazi, au président français !), et de quel poids pèse l’information et le courage politique, dans la chaine des événements. Une image vaut mille mots, et son film nous fait toucher du regard cette aventure inouïe qui a permis à un peuple tyrannisé d’oser se révolter, d’échapper à un massacre et de l’emporter sur un dictateur réputé indélogeable. Excusez du peu.
Cette épopée aurait cependant pu avoir une issue nettement moins heureuse, si l’égoïsme des États, la frilosité des diplomaties, le conservatisme des appareils n’avaient fini par céder à la grâce de la configuration politique du moment qu’il faut bien qualifier d’exceptionnelle. S’il n’y avait eu auparavant les révolutions tunisienne et égyptienne et l’intérêt qu’elles ont suscité, si Bush avait été à la place d’Obama, si la France n’avait pas été conduite par un dirigeant aussi atypique et transgressif que l’a été Nicolas Sarkozy, et si tous ces ingrédients n’avaient pas été mis en sauce et secoué par cet insurgé armé d’un stylo qu’est BHL, cette page d’histoire aurait sans doute été écrite autrement.
Mouche du coq, go between, ambassadeur itinérant et communicant de première classe, ce philosophe, objet politique non identifié, s’est de plus transformé en réalisateur pour montrer comment les choses se font ou ne se font pas, aujourd’hui. Filmé à la première personne du pluriel, avec son complice Gilles Hertzog et le cinéaste Marc Roussel, ce « making off » d’une guerre en dit long sur les mécanismes des relations internationales à l’heure du satellite et de l’Internet. Mais il ne se réduit pas à un témoignage, fut-il de première main. Ce reportage est aussi une œuvre cinématographique à part entière, servie par un beau texte lu par son auteur, qui tout le long du film relate commente et questionne le cours des événements.
Présenté dans les salles en cette fin de printemps noirci par les crimes du régime syrien, ce Serment de Tobrouk arrive à point nommé, comme une étoile du berger dans le désert des réactions onusiennes, comme une oasis d’espoir dans ce monde de brutes.
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