S’il y avait encore un doute, le moindre doute, sur le fait que Farouk Hosni était un mauvais candidat pour la direction de l’Unesco, sa réaction à sa défaite l’aura définitivement levé. Il y a deux attitudes possibles, en effet, quand on perd une élection. On peut être beau joueur, admettre calmement les choses, y voir le résultat – malheureux, mais c’est la règle – d’un débat libre et ouvert : c’est le cas des cinq autres candidats qu’a coiffés au poteau Irina Bokova.
Ou on peut être mauvais perdant, trépigner, tempêter et voir dans le résultat le fruit d’une machination, d’un protocole secret, d’une manœuvre ourdie par quelques-uns – et c’est ce que fait Hosni quand il dit, dans une déclaration du 25 septembre donnée à Al-Akhbar et reprise, entre autres, par Reuters que ce sont « les organisations juives et le lobby » (sic) qui ont eu raison de ses ambitions. Peu importe que ce qu’il appelle les « organisations juives » aient été très divisées dans cette affaire. Et oublions que la realpolitik israélienne l’aura finalement soutenu, quoi qu’il en dise, ni plus ni moins que la française. L’étrange, c’est cette façon pavlovienne, quand cela ne va pas, de dire : « la faute aux juifs ». L’ironie, c’est de voir comment cet homme qui a déployé tant d’efforts, pendant sa campagne, pour faire oublier sa fameuse phrase sur les livres écrits en hébreu qu’il était prêt à brûler de ses mains retrouve, la campagne finie, les mêmes réflexes pour dénoncer le lobby « juif et sioniste » qui aurait comploté contre lui. Mauvais esprit au début. Mauvais esprit à la fin. La boucle est bouclée.
Deux personnes – Olivier Corpet, patron de l’Institut mémoires de l’Edition Contemporaine, et la productrice Simone Halberstadt Harari – ont joué un vrai rôle dans cette affaire en alertant les uns, en secouant les autres et en exhortant l’auteur de ces lignes à ne jamais baisser les bras. Personne ne parle d’eux. Peut-être, d’ailleurs, n’y tiennent-ils pas. Mais je veux, moi, leur rendre justice. D’autant que le hasard des calendriers fait que la seconde publie, ces jours-ci, un livre sur la télévision – La Télé déchaînée, Flammarion – qui est ce que l’on peut lire, ces temps-ci, de plus juste, de plus informé, de plus généreux et de plus neuf sur le sujet. La question, comme chacun sait, est : quid de la télévision à l’ère du tout-numérique ? quid de ce que l’on appelle le service public à l’heure de l’éclatement des chaînes et de la dispersion de la demande ? de ses deux fonctions traditionnelles – « miroir » ou « sculpteur » des sociétés – faut-il se résigner à ce que ne survive que la seconde et faire son deuil de la première ? et l’idée même de « chaîne généraliste » a-t-elle encore un sens alors que chaque communauté, chaque minorité de style, de croyance ou de goût est techniquement en mesure d’avoir « sa » chaîne ? Simone Halberstadt Harari fait, avec beaucoup de loyauté, l’inventaire des réponses et, donc, des solutions disponibles tant en France qu’à l’étranger. Cet esprit encyclopédique va chercher ses références dans l’univers du théâtre et de ses systèmes de financement non moins que dans celui de la radio, de la presse écrite ou de la musique. Et elle parvient à une conclusion qui, à mi-chemin du renoncement défaitiste de ceux qui pensent que le tsunami du numérique nous a fait entrer dans un monde définitivement différent (« le lâchez tout » dada relooké libéral) et de ce qu’elle appelle « l’intégrisme » des « purs et durs » du service public (des antennes de « subsidiarité » qui ne diffuseraient plus que ce que les chaînes privées ne diffusent pas), rend à la télévision la plus noble de ses ambitions : tisser du lien social, forger de l’universel, aider à ce que se constituent des libres citoyens.
Puisque j’en suis à parler de télévision, je profite de la circonstance pour faire amende honorable sur un point. Je fais partie de ceux qui se sont fortement inquiétés, l’an dernier, quand le président de la République a annoncé son projet de supprimer la publicité, après 20 heures, sur les grandes chaînes publiques. Eh bien, neuf mois plus tard, l’honnêteté oblige à dire que cette inquiétude était excessive. Une France Télévisions affranchie de la contrainte publicitaire a diffusé quatre fois moins de séries américaines que TF1 et cinq fois moins que M6. Elle a rassemblé des dizaines de millions de personnes autour des six épisodes d’Apocalypse, le formidable documentaire d’Isabelle Clarke et Daniel Costelle sur la Seconde Guerre mondiale. Elle a diffusé, à des heures de grande écoute, le Mireille de Gounod, La Traviata, Cavalleria Rusticana. Elle a mis en chantier, dans le sillage de sa collection Maupassant, des adaptations de Zola, Hugo, Daudet – sans parler, me dit-on, d’un projet sur Camus, d’un autre sur Rabelais, d’une biographie de François Villon prévue en première partie de soirée et d’un autre documentaire, monumental encore, sur la chute du mur de Berlin. Je disais à mon ami Serge Klarsfeld, l’autre semaine, dans le contexte de l’élection du patron de l’Unesco, qu’il nous arrivait à tous de nous tromper. Eh bien voilà. C’est mon tour. Et c’est dit. La preuve est faite : a) que culture et Audimat peuvent n’être pas antinomiques ; b) que l’audace, en ces matières, n’est décidément pas la plus mauvaise des muses.
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