A quoi sert la philosophie ? Eh bien voilà. A faire la différence, comme ici, entre passions faibles et passions fortes, passions tristes et passions qui donnent de la joie – celles d’entre les passions qui accroissent notre puissance d’être, la dilatent, lui confèrent une perfection plus haute, et celles qui, à l’inverse, la mènent à une moindre perfection, l’assombrissent, la tétanisent, la paralysent. Avis aux dépressifs, saturniens et autres mélancoliques. Avis à celles et ceux qui poussent la sympathie pour le prochain jusqu’à s’incorporer ses mauvaises vibrations, ses affects pathétiques et noirs, sa part de ressentiment. Avis à ceux, surtout, qui seraient tentés de croire que la philosophie n’est affaire que de raison, de spéculation, d’abstraction, de pur entendement. Ce texte de Spinoza, ces fragments de texte [les textes choisis étaient des extraits des Propositions XXXIII à LX de l’Éthique, NDLR], disent l’inverse. Ils disent que la philosophie ne vaut rien, ne sert à rien, ne mérite pas une heure de peine, si elle n’a aussi pour but de rendre heureux. Ils disent que la métaphysique est une physique, presque une physiologie, et un usage, indissociablement, de l’âme et du corps, du corps et donc de l’âme. Ils disent, deux siècles avant Nietzsche, et comme lui, et comme cela se redira, ici, à travers d’autres fragments de textes, extorqués à d’autres philosophes, que la philosophie est d’abord, avant tout, un exercice de vie. Il fallait, pour penser cela, rompre avec la philosophie grecque (en particulier Aristote) distinguant entre les deux âmes – « sensitive » et « raisonnable ». Il fallait traverser Descartes, le génial mais incertain Descartes du Traité des passions de l’âme, son dernier livre, le plus énigmatique de tous et le premier à avoir approché, mais hélas seulement approché (livre I, article 50), l’intuition capitale d’une consubstantialité de l’âme et du corps. Il fallait Spinoza, en un mot. Il fallait cette réélaboration matérialiste du Traité qu’est l’Éthique de Spinoza. Il fallait se libérer, avec elle, l’Éthique, de l’hypothèse cartésienne, encore si lourde, d’une « glande pinéale » assurant la « jonction », la « communication », entre ces deux régions de l’Être que sont les affections du corps et celles de l’âme. La philosophie a une histoire. Mais c’est aussi une diététique. Donc une affaire de goût et de style. Rappel qui, je suppose, ne surprendra pas mes amis de Purple.
Usage de Spinoza
Article paru dans Purple, 01 septembre 2008
Pourquoi, d’après Spinoza, la philosophie ne vaut rien, ne sert à rien, si elle n’a aussi pour but de rendre heureux.
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