Ma réaction à cette affaire Salman Rushdie ? Les principes ne se divisent pas. Ils ne souffrent ni nuances ni exceptions. Et s’il est un principe qui, dans l’ordre de l’esprit comme dans les autres, ne me semble pas supporter le moindre compromis, c’est bien celui de ne céder jamais, en aucune circonstance et sous aucun prétexte, au fanatisme ou au chantage. Concrètement, je crois que nous avons aujourd’hui, nous autres écrivains, trois façons simples de répondre à ce qui apparaît déjà comme une affaire sans précédent depuis les listes Otto.

1.        Marquer notre solidarité d’écrivains à l’endroit d’un écrivain qui, pour avoir écrit un roman en effet iconoclaste, jouit du redoutable honneur de voir sa tête mise à prix. J’ignore de quelle façon cette solidarité se formulera. Mais je sais quelle nous incombe et qu’il serait tout de même singulier d’avoir si souvent su nous opposer, dans le passé, à la censure de tel Marcellin ou Pompidou — et de nous retrouver muets en face de celle de Khomeyni. Rappelons-nous ce livre de Pierre Guyotat paru, il y a presque vingt ans, sous le parrainage conjoint de quatre préfaciers. Pourquoi ne pas concevoir, lorsque paraîtront les Satanic Verses, et quelque jugement proprement littéraire qu’ils nous inspirent alors, une démarche de même type ?

2.        Affirmer par avance, en France et hors de France, notre soutien aux éditeurs qui choisiront de prendre ce risque. Je ne sais pas, là non plus, quelle forme prendra ce soutien. Mais je crois que le livre doit paraître et que nous pouvons, que nous devons, tout faire pour y aider. Une idée parmi d’autres : pourquoi l’ensemble des éditeurs français ou même européens ne répondrait-il pas d’une seule voix à cet insupportable chantage ? pourquoi ne rachèterait-il pas collectivement, pour les exploiter collectivement, les droits acquis jusqu’ici par une seule maison d’éditions ? Bon vieux refrain, aux vertus éprouvées : quand on menace un éditeur, « nous sommes tous des éditeurs menacés »…

3.        Interroger le gouvernement français sur les suites qu’il compte donner à une provocation terroriste qui, parce qu’elle émane d’un État, l’intéresse au premier chef. M. Roland Dumas, ministre des Relations extérieures, était la semaine dernière à Téhéran dans le but, nous disait-on, de normaliser nos relations avec le régime des ayatollahs. Cette normalisation est-elle encore à l’ordre du jour ? Est-il toujours si urgent d’aider cet étrange régime à retrouver sa place dans le concert des nations ? Persiste-t-on dans l’intention de lui offrir — puisque c’est aussi de cela qu’il s’agissait — les moyens d’une reconstruction et d’une puissance retrouvée ? Si oui, il faut le dire. Si non, il faut le dire aussi. Car ce sera le plus sûr moyen de faire savoir, à ceux qui en douteraient, que la France n’est pas prête à renouer avec ce vieux démon familier que l’on appelle « l’esprit de Munich ».


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