Ainsi donc, cela continue.
Oui, la série noire s’allonge qui, de plus en plus tragiquement, endeuille la Samarie, Gaza et la Judée.
Chaque semaine, presque chaque jour qui passe y apporte, semble-t-il maintenant, son lot de haine, de larmes, de sang palestiniens.
Avant-hier encore, dans la vieille ville de Jérusalem, c’était un soldat fou, en proie à l’on ne sait quel vertige de fanatisme, qui, vidant soudain son chargeur sur la foule rassemblée aux portes de la mosquée d’Omar, tuait deux nouveaux Arabes et en blessait vingt-deux autres.
Et autant le dire alors, aussi fort, aussi haut, aussi clairement que possible : rien, personne, aucune raison ni aucun calcul au monde ne sauraient excuser ou justifier un tel acte de barbarie.
Jamais, nulle part, au nom de quelque principe, de quelque solidarité, de quelque tribunal que ce soit, le terrorisme ne trouvera grâce, qui frappe ainsi à l’aveugle des populations civiles, désarmées, pacifiques.
Ici, en France, dans l’ombre de cette violence qui semble tentée, de nouveau, de venir rôder parmi nous, il serait indigne, que dis-je ? indécent, que ceux-là mêmes qui, il y a tout juste huit jours, pleuraient la mort d’un diplomate israélien ne déplorent pas, avec une détermination égale, celle de deux Palestiniens.
Et, en ce qui me concerne au moins, les valeurs de justice, de liberté, de droits de l’homme où je me plais à me reconnaître, ne sauraient, cela va de soi, souffrir la moindre exception, la moindre défaillance, la moindre mise en suspens — vieille et sinistre rengaine, que j’ai trop combattue ailleurs pour la retrouver ici, des bons et des mauvais morts, des victimes suspectes et des bourreaux privilégiés…
*
Plus radicalement et plus profondément peut-être encore, je crois que les valeurs liées au judaïsme, au sionisme, à Israël ne vaudraient pas grand-chose non plus si elles devaient — et pouvaient — s’accommoder durablement de ce type de barbarie.
Il me paraît qu’il y a là, dans cette violence commise en terre juive, sous l’autorité formelle d’un Etat juif, par des colons et des soldats juifs, le plus atroce, le plus insupportable démenti qui soit aux commandements immémoriaux qui, depuis des siècles et des siècles, façonnent le peuple juif.
Je ne suis pas très loin de penser qu’en se conduisant de la sorte, en vulgaires occupants colonialistes, les terroristes hébreux commettent un double crime, contre les Palestiniens d’abord, bien sûr, mais contre eux-mêmes aussi et contre l’idée, l’idéal, qui président à Israël.
Y a-t-il, dans la situation concrète de la vallée du Jourdain, une autre attitude possible ? Existe-t-il aujourd’hui, la guerre étant ce qu’elle est, une solution alternative pour les populations arabes occupées ? Et est-ce à nous, Français, de donner des leçons de bonne conduite à un Etat qui aurait beau jeu, je suppose, de nous rappeler à quel prix de meurtre, de torture, de carnage nous administrâmes, jadis, nos propres territoires occupés d’Algérie ?
La question n’est pas, n’est plus là, hélas ! en ce matin de deuil — mais dans la situation, paradoxale, où se trouve soudain placé le plus anticolonialiste des peuples de l’histoire.
Mais dans cette mécanique, inexorable apparemment, qui, le dotant peu à peu de son contingent de monstres, de salauds, de fascistes, est en train de faire de son Etat cet « Etat semblable à tous les autres » dont le prophète Samuel, déjà, le menaçait.
Mais dans cette crise, en un mot, sans exemple ni précédent pour la conscience biblique, dont les morts de la mosquée d’Omar sont les derniers témoins en date et dont il nous appartient, bien sûr, non-juifs mais surtout juifs, de traquer sans répit, sans merci, sans complaisance, les signes et les racines…
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Cela dit, attention !
Oui, attention à ne pas confondre et à ne pas mêler les genres..
Car si je parle de « crise », c’est pour dire un état transitoire, éphémère et, par définition, tendu vers autre chose.
C’est pour dire que ces actes criminels, si terribles et inquiétants qu’ils soient, demeurent marginaux, exceptionnels et désavoués, pour le moment, par l’essentiel de la société civile.
C’est pour indiquer, au sein même de cette société civile, la rudesse, l’âpreté, j’allais presque dire la violence du débat sur la violence justement, sur ses effets, sur sa nécessité et sur sa subite intrusion dans l’histoire du peuple hébreu.
C’est parce que Tel-Aviv, si l’on préfère, est une ville où l’on peut voir, au lendemain du meurtre d’un jeune Arabe cisjordanien, des milliers de citoyens descendre dans la rue pour protester contre les méthodes de l’armée, de la police de leur pays.
Et c’est parce qu’au sommet même de l’Etat enfin trônent des hommes qui, pour « réactionnaires » qu’ils soient, n’en ont pas moins à cœur, quelques minutes à peine après l’abominable fusillade de dimanche, de condamner le geste, son auteur et la tentation, du coup, de recommencer ailleurs…
En clair, cela s’appelle la « démocratie ».
L’un des derniers pays du monde où règnent encore, vaille que vaille, les règles du libre débat démocratique.
L’un des seuls, l’un des rares où, contre vents et marées, la loi demeure l’ordinaire et la barbarie l’exception.
Et c’est la raison pour laquelle il me paraît si peu acceptable d’inférer, un peu trop vite, de l’exception à l’ordinaire. Si faux, si sot, si profondément mensonger le tableau qu’on nous brosse déjà, çà et là, d’une nation israélienne tout entière minée par le virus du fascisme, du racisme, de la brutalité policière. Et si nécessaire de dire alors, avec autant de vigueur et de détermination, que rien, personne, aucun principe ni aucune indignation, ne saurait justifier que, de la juste condamnation du terrorisme, on glisse à celle d’Israël en tant que tel et tout entier…
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D’autant que rien ne saurait justifier non plus que, l’œil fixé sur ce terrorisme-ci, on en vienne à oublier l’autre, au moins aussi meurtrier, mené par les Palestiniens.
Il me paraîtrait pour le moins étrange que, tout occupés à nous indigner du geste d’un soldat fou et désavoué, je le répète, par les plus hautes autorités de son pays, nous fassions silence, tout à coup, sur celui, quotidien, de ces soldats raisonnables, en règle avec leur état-major et son projet politique d’ensemble que sont les fedayin.
Il me semble d’ores et déjà étrange, de fait, que l’on mette partout, et si souvent, sur le même pied, la violence marginale, périphérique, minoritaire d’une « O.A.S. juive » dont l’existence est encore, grâce au ciel, largement imaginaire, et puis la guerre totale, radicale, concertée, majoritaire qu’a déclarée à Israël la très réelle O.L.P.
Plus bizarre, plus mystérieux peut-être encore : je ne parviens pas à comprendre, je l’avoue, au nom de quelle logique l’on persiste, aux mêmes lieux, dans le même temps, à présenter comme symétriques les activités de ladite O.L.P. et celles, en face, de cette hydre monstrueuse, perverse, abominable, qu’on appelle le « terrorisme d’Etat » juif.
Et je ne résiste pas, du coup, à la tentation de rappeler la différence qu’il y a entre la volonté de tuer et celle de se défendre.
Entre la terreur pensée comme une fin en soi et comme l’horizon d’une stratégie et celle que l’on réduit à un moyen, hideux et discutable, c’est entendu, mais un moyen tout de même.
Bref, entre une armée israélienne dont l’objectif, en dépit de ses indéniables crimes, n’a jamais été, que l’on sache, de bombarder pour le plaisir les populations civiles libanaises ou jordaniennes et des commandos dont le but déclaré, avoué, affiché est d’effacer, en Palestine, toute espèce d’établissement civil portant la marque juive…
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Je ne rappellerais pas ces évidences, si elles ne me paraissaient pas, à l’heure où j’écris ces lignes, singulièrement malmenées par la rumeur.
Si l’on ne sentait, alentour, tant et tant de forces acharnées à les dénaturer et à se servir, pour cela, des martyrs palestiniens de dimanche.
Et si je n’entendais même, tandis que s’affairent les croque-morts, une drôle de petite musique, familière aux oreilles exercées, et qui leur sert en quelque sorte de décor et de fond sonore.
Ah ! comme la vie serait facile, dit en substance la comptine, si Israël pouvait être effectivement, et pour le reste de son temps, l’incarnation du despotisme !
Comme l’Histoire serait belle, radieuse, si, par une de ces ironies dont elle a parfois le secret, les juifs venaient à devenir, tout à coup, d’horribles et parfaits oppresseurs !
Quelle merveille, quel miracle ce serait, s’il pouvait être vrai, je veux dire réellement vrai, et pas seulement par métaphore, qu’ils sont les nouveaux S.S. d’un nouveau Proche-Orient dont les Palestiniens, eux, seraient les nouveaux juifs !
Et quelle aubaine ce serait, du coup, si l’on pouvait voir s’effacer là-bas, sur les rives du lointain Jourdain et par cadavres arabes interposés, cette embarrassante affaire d’holocauste qui poursuit l’humanité, depuis quarante ans, comme un muet remords !…
Cette odieuse rengaine, c’est elle, effectivement, qui revient chaque fois que se fredonne l’air connu d’un Israël « fasciste » incarnant l’ordre botté au cœur du monde arabe : et si j’y insiste pour finir, c’est que refuser de jouer au jeu des bons et des mauvais morts ne me paraît pas autoriser à jouer pour autant à celui, plus pervers sans doute encore, des victimes et des bourreaux inversant gaiement leurs rôles et leurs identités.
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