Ce qui vient de se passer à Durban est une honte.

Passe encore que la focalisation sur le Proche-Orient ait occulté tout le reste et que ceux qui venaient à la Conférence mondiale contre le racisme dans l’espoir d’entendre parler des victimes du système des castes en Inde, du racisme d’Etat au Tibet, du génocide rwandais, du risque de génocide au Burundi, des femmes afghanes, des Tsiganes d’Europe centrale, des chrétiens des Moluques, des Dioulas musulmans de Côte d’Ivoire, en aient été pour leurs frais.

Passe aussi que la question de l’esclavage, du crime absolu qu’il constitue et des justes réparations dues aux peuples africains martyrs ait été réduite à sa plus simple expression par un anti-occidentalisme primaire, débile, pavlovien – passe que l’on ait complètement évacué toute cette autre histoire de l’esclavage, interne à l’Afrique, transsaharienne, dont l’Occident n’est pas coupable et qui (je l’ai vu, par exemple, au Sud-Soudan) perdure jusqu’aujourd’hui.

Le plus honteux, le plus grave, c’est cette déclaration finale du Forum des ONG qui, choisissant de faire d’Israël le bouc émissaire de tous les crimes dont on ne souhaitait donc apparemment pas parler et renchérissant, pour ce faire, sur la fameuse résolution onusienne de 1975 assimilant le sionisme au racisme, qualifie Israël d’« Etat raciste », lui impute une politique d’« apartheid » et parle des « actes de génocide », voire des « crimes contre l’humanité », dont il se rendrait coupable vis-à-vis des Palestiniens.

Il va de soi, on est presque gêné d’avoir à le rappeler, que le gouvernement de l’Etat d’Israël est aussi critiquable, ni plus ni moins, que n’importe quel autre gouvernement au monde.

J’ai dit cent fois, je répète, qu’il est non seulement acceptable mais, à mes yeux du moins, juste, nécessaire, de dénoncer l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza, les méthodes musclées du Mossad, voire, dans les premiers temps de l’Intifada, la brutalité démesurée de la riposte de Tsahal.

Mais passer de ces fautes réelles à des fautes imaginaires (faut-il rappeler qu’il y a des officiers druzes et des députés arabes en Israël ? que les citoyens arabes y jouissent des mêmes droits civiques que les citoyens juifs ? et que le mot même d’« apartheid » n’a donc, en la circonstance, aucun sens ?), pire : inférer de la condamnation normale de telle ou telle politique, de tel ou tel gouvernement, à une condamnation globale de ce qui fait l’assise, le principe même, l’être d’Israël (faut-il rappeler qu’avant d’être cette insulte planétaire dont se gargarisaient les délégués de Durban, « sioniste » est le nom d’un mouvement de libération nationale ? que ce mouvement de libération nationale est le fondement de l’Etat hébreu ? que vouloir un Israël sans sionisme est une façon politiquement correcte de vouloir la fin d’Israël en tant que tel ?), voilà qui n’a jamais été fait, nulle part, à propos d’aucun autre pays au monde ; voilà ce que le pire adversaire, autrefois, de la guerre du Vietnam ou de la guerre d’Algérie n’a jamais osé dire des États-Unis ou de la France; et voilà où, proprement, réside l’ignominie.

Le plus navrant, dans cette affaire, c’est que la cause de l’antiracisme serve à justifier pareille forfaiture.

Le plus navrant, le plus inquiétant, serait que la lutte contre ce crime récurrent qu’est le racisme puisse, sur fond de concurrence victimaire, servir de tremplin à une nouvelle flambée de haine qui, soit dit en passant, ne remédierait en rien à la douleur palestinienne.

L’antiracisme, matrice d’une nouvelle forme d’antisémitisme ? C’est une vision de cauchemar. Pour tous ceux qui ont toujours tenté de mener ensemble les deux combats, pour ceux qui se sentent aussi concernés par un meurtre raciste que par un attentat antisémite, pour ceux qui jugent les déclarations de Houellebecq contre l’Islam aussi lamentables que celles de Renaud Camus contre les Juifs, bref, pour les tenants de cette grande alliance qu’incarna par exemple, en France, un mouvement comme SOS-Racisme, ce serait une défaite cuisante. Mais c’est une question que, après Durban, il est difficile de ne pas poser.


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