Je rentre à nouveau d’Ukraine.
J’étais à Kyiv, au lendemain des bombardements nocturnes qui ont soufflé des immeubles entiers et n’ont laissé de lumière que dans les yeux des babouchkas.
À Lyman, sur le front Est, puis à Corovi Yar que venait de reprendre, sans rencontrer de vraie résistance, le bataillon Carpathian Sich.
À Dudatich, au nord de la poche de Kherson, où j’ai filmé une escouade venant à la rencontre de deux déserteurs russes qui avaient pris contact à travers la hotline « Je veux vivre » mise en place par le gouvernement ukrainien.
J’ai retrouvé, dans la zone de Zaporijia, les hommes du bataillon Charles-de-Gaulle dont un chef avait pris le temps, depuis notre dernière rencontre, de lire les Mémoires de guerre et de me faire graver au revers d’une médaille : « Dans sa justice, le Dieu des batailles va offrir aux soldats de l’Ukraine Libre un grand combat et une grande gloire ».
Ailleurs, sur le front Sud, dans un village où ne restaient que bêtes péries et ruines brisées, j’ai parlé avec un officier qui m’a dressé la liste des villages occupés qu’il avait dans le viseur et dont il savait, de bonne source, qu’ils n’avaient plus ni les hommes ni les munitions nécessaires pour repousser un assaut.
Et j’ai interrogé des villageois libérés, vivants parmi les morts, visages exsangues où il ne restait que les yeux : ils avaient vécu terrés, des mois durant, sous les avalanches d’acier ; c’était la première fois, à Koupiansk par exemple, qu’ils revoyaient la lumière du jour ; mais tous, absolument tous, disaient qu’à aucun moment ils n’avaient songé à fuir ; que jamais, au grand jamais, ils n’ont perdu la foi dans la victoire ; et que, même vieux, impotents, leurs pauvres jours comptés par les épreuves et la souffrance, ils se considéraient comme les soldats d’une autre armée : celle de l’ombre et de l’arrière – l’armée des patriotes, de tous âges et de toutes conditions, dressés comme un seul homme contre l’envahisseur.
Bref, j’ai vu la victoire de l’Ukraine.
Et je crois ce que j’ai vu pour, au moins, trois raisons.
La résilience d’un peuple admirable, prêt à prendre tous les risques plutôt qu’avoir à se soumettre.
La force de soldats qui, à l’inverse du corps expéditionnaire russe et de ses soldats Chveikh recrutés à la diable, sans formation militaire, savent pourquoi ils combattent et tirent de ce savoir une invincible force.
Et, bien entendu, les armes et équipements alliés qui ont fini par arriver et qui ont une autre efficacité que ces drones du pauvre, au rabais, que sont les Shahed livrés par les Iraniens…
La guerre, la vraie, la guerre à la loyale, la guerre que les hommes font aux hommes, les Ukrainiens l’ont gagnée.
Le problème, je le sais aussi, c’est que Poutine, terré dans ses datchas, rendu fou d’humiliation par la médiocrité de cette armée qui se voulait l’une des meilleures du monde et qui, partout, recule, refuse d’admettre la réalité.
Et l’on peut, l’on doit, s’attendre à une ultime manœuvre faisant passer cette guerre de sa phase proprement militaire (il ne peut ignorer qu’il l’a perdue !) à sa phase terroriste (n’est-elle pas, dans son esprit comme dans celui des mages qui l’entourent au Kremlin, la continuation de l’autre ? n’a-t-elle pas pour vertu, à leurs yeux, et comme le mot l’indique, de semer la terreur dans la population et, si possible, de la casser ?).
Faire sauter, par exemple, le barrage de Kakhovka et noyer la zone de Kherson. Lâcher, comme il le fit mi-septembre, quoique à une échelle réduite, un missile de croisière sur le barrage hydroélectrique de la rivière Ingoulets et engloutir Kryvyï Rih.
Bombarder ou, tout simplement, inonder la centrale de Zaporijia dont les réacteurs ne supporteraient pas un refroidissement brutal.
Lâcher des missiles sur les générateurs qui alimentent les villes et leur permettront, cet hiver, quand les températures descendront au-dessous de zéro, de se chauffer. Ou, bien sûr, l’hypothèse de la bombe sale, ou de la frappe nucléaire dite tactique, dont il expliquait récemment à un interlocuteur occidental qu’elle ne ferait guère pire que ce que firent les Américains à Hiroshima.
Terre brûlée…
Viva la muerte…
Apocalypse Now…
Hitler dans son bunker ou la division Das Reich qui, sentant la fin venir, et avant de faire mouvement vers la Normandie, commet le massacre d’Oradour-sur-Glane…
Tout cela en prenant soin, comme à son habitude, d’accuser ses victimes de ce qu’il s’apprête à leur faire subir…
Vladimir Poutine en est là.
Il a perdu mais ne veut pas le savoir et peut commettre, donc, plus irréparable encore que les crimes sans nombre qu’il a commis.
Et il y a là, pour la paix du monde non moins que pour le peuple ukrainien, une perspective terrifiante.
Avis, alors, à ceux qui tiennent à « maintenir le contact ».
On ne parle pas gastronomie avec un anthropophage.
On ne parle pas, et pour les mêmes raisons, de paix avec Hitler ou lui, Poutine.
Mais s’ils se sentent capables d’accéder à ce qui reste de raison dans l’âme de ce forcené qu’ils essaient.
Il doit consentir à sa défaite.
Il doit capituler.
S’il lui reste une chance d’échapper au sort des tyrans déchus et aux abois, elle est là – et il est bon qu’il le sache.
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