Je suis heureux d’être à Marseille, ce soir, avec vous. Marseille, ville de Pagnol et d’Albert Cohen.
Marseille, ville de Varian Fry, ce consul américain qui exfiltrait les artistes, les Juifs, les résistants les plus pour- chassés, hors de la France occupée.
Marseille, ville de Gaston Defferre, mon ami.
Marseille, ville d’accueil et d’hospitalité pour tant d’humiliés, d’affligés et de proscrits.
Marseille d’où partaient, en 1938, les brigades de la mer allant ravitailler la République espagnole.
Marseille, port de l’espoir.
Marseille, porte de la liberté.
C’est ce Marseille-là que Jean-Marie Le Pen est venu, ce soir, à quelques pas d’ici, insulter, salir, déshonorer.
C’est ce Marseille légendaire qu’il a eu le culot de choisir pour, entre toutes les villes de France, y tenir son unique meeting de campagne et y déverser son discours d’exclusion et de haine – comme s’il voulait, ici, symboliquement, fer- mer les portes de la France à tous ceux qui, de Smyrne à Beyrouth, de l’Adriatique à Alger menacée par les égorgeurs intégristes, continuent de croire en elle et d’y voir un refuge pour les hommes et femmes libres.
Eh bien il se sera trouvé, ce soir, quelques hommes et femmes, une famille d’esprit, pour dire : « non au hold-up symbolique et moral ! pas de main basse sur la ville de Gaston Defferre et de Pagnol ! on ne peut pas laisser, soixante ans après, la ville aux héritiers de Sabiani et des fascistes marseillais qui livrèrent leur ville aux Allemands ».
Ces hommes et femmes je les connais peu.
Je n’appartiens pas à la même famille d’esprit qu’eux.
J’avoue d’ailleurs que, comme beaucoup, ce n’est pas de là que j’attendais ce geste de refus et de révolte.
Je l’attendais d’un gaulliste.
Je l’attendais, nous l’attendions tous, d’un fils spirituel de Chaban-Delmas ou de Geneviève Anthonioz-de Gaulle !
Et pourtant non.
C’est à un héritier de la démocratie chrétienne, à un descendant de Marc Sangnier, de Robert Schuman et de Maurice Schumann, de Pierre-Henri Teitgen, le ministre de la Justice du général de Gaulle, puis l’un de ceux qui, quinze ans après, dénoncèrent la torture en Algérie, c’est à cet homme-là que revient, ce soir, avec vous, de relever le défi et de sauver l’honneur de la droite à Marseille. Il s’appelle François Bayrou et je suis heureux d’être, à ses côtés, ce soir.
Alors, à lui, et à vous tous, je veux ce soir dire quatre choses.
Merci d’abord d’être là. Merci d’être, à la droite, ce que des centaines de milliers de jeunes et de moins jeunes, à Marseille, à Paris, dans d’autres villes de France, ont été hier à la gauche. Vous manifestez pour la République. Vous défendez, vous illustrez, les valeurs de la République. Il y a, à droite, des hommes et des femmes dont on entend le tonitruant silence. Il y a, à droite, une théorie selon laquelle manifester pour la République, défiler pour la défendre, serait une autre façon de faire monter ses ennemis. On a même vu des gaullistes nous expliquer que nous ne ferions, en nous manifestant, qu’exciter les égarés et qu’il faut donc faire profil bas pour la République. Vous pensez, visiblement, l’inverse. Vous dites, ce soir, l’inverse. Vous vous refusez à avoir la République honteuse, à passer la République sous silence. Vous êtes de ceux qui estiment, je crois, que c’est en affirmant haut et fort les valeurs de la République que l’on rattrape au bord de l’abîme ceux qui seraient tentés de lui tourner le dos. Et de cela je vous dis donc merci.
Je veux vous dire, deuxièmement, que vous représentez, à droite, à côté, bien entendu, de ses cibles obsessionnelles, à côté des Français d’origine arabe qu’il voudrait renvoyer de l’autre côté de Marseille, à côté des Juifs auxquels il voue une haine féroce et sans merci, ce que Jean-Marie Le Pen hait sans doute le plus au monde. Vous êtes chrétiens – il est païen. Vous êtes girondins – il est césarien. Vous êtes modérés – il est l’incarnation d’une France de la violence et de la haine. Vous êtes humanistes – des hommes, il ne connaît que la race ; pour les hommes, il n’a que mépris. N’oubliez jamais, non, que cet homme est votre ennemi. N’oubliez jamais que vous êtes, juste derrière les Juifs, les Arabes, les pédés, les mauvais Français de Le Pen.
Je veux vous dire encore que j’en ai un peu assez d’entendre et de lire, depuis dimanche dernier : « il faut entendre le message des électeurs perdus de Le Pen ; il faut se mettre à l’écoute de leur ras-le-bol, de leur mal-être et de leur haine ». J’en ai assez car cette haine et ce mal-être j’aimerais bien, moi, au contraire, qu’on les entende le moins possible jusqu’à dimanche prochain. J’aimerais que l’on dise à ces gens : « sachez que quand vous votez pour la violence et la haine, quand vous votez pour un candidat raciste, quand vous votez pour un homme qui a fondé son Parti avec des Waffen SS, des hommes condamnés pour indignité nationale ou intelligence avec l’ennemi, quand vous votez pour cet homme-là, votre message est inaudible ». Et, écoute pour écoute, j’aimerais que, à tout prendre, l’on écoute plutôt les autres voix de la France, celles qui se seront exprimées hier à Paris et ce soir à Marseille – j’aimerais que l’on entende tous ces Français de longue mais aussi de plus fraîche date qui ne cessent de nous dire : « j’aime la France ; j’aime la République ; je veux participer de ses valeurs, de ses droits, de ses devoirs ». Les entendre, ces autres voix, cela pourrait signifier, par exemple, créer demain un grand ministère de l’Intégration républicaine qui serait aussi, pensez-y, le meilleur ministère de la Sécurité et de la Paix civile. Cette idée, je ne suis pas sûr qu’elle soit très présente à l’esprit de vos partenaires de la future majorité espérons-le plurielle. Eh bien reprenez-la. Formulez-la. Faites-vous les avocats de ces hommes et de ces femmes qui frappent à la porte de la France.
Et puis je veux vous dire enfin que le combat contre Le Pen ne finira évidemment pas le 5 mai et qu’il restera alors à remporter, après le 5 mai, la bataille du terrain – il restera à mener et gagner 575 batailles de terrain contre Le Pen et son mauvais venin. Vous savez aussi bien que moi comment, sur le terrain, on a fait, dans le passé, le lit du lepénisme. Vous savez comment de mauvais démocrates ont banalisé, à gauche comme à droite, les thèses d’un Parti qui prêche la guerre civile et l’installe. Vous vous souvenez, chez vous, dans vos rangs, de cette droite de courtoisie, de ces Millon, Soisson, Blanc, qui ont cru qu’entre droite et extrême droite la différence n’était que de degré ; qu’il y avait, avec cette droite extrême, des valeurs et des principes communs ; et que, surtout, Paris (c’est-à-dire Auxerre, Lyon, le Languedoc) valait bien une messe avec le diable. Ils n’avaient pas compris, ces naïfs, qu’ils seraient broyés par la machine de la haine et du ressentiment. Ils n’avaient pas compris, ou ils ont compris trop tard, que cette tentation de l’alliance a, dans l’histoire de l’Europe, toujours eu pour seul résultat de cannibaliser ceux qui croyaient pouvoir jouer au plus fin avec les fascistes. C’est avec tout cela qu’il faut rompre. Et pour cela il n’y a, en cette veille de législatives, qu’une solution : que la droite et la gauche républicaines, partout où elles seraient en situation de triangulaire avec un représentant du Front national tirant les marrons du feu de leur querelle, que la droite et la gauche républicaine prennent la décision de faire, ensemble, barrage à l’infamie ; qu’elles prennent l’engagement, ensemble, de refuser les cuisines électorales de deuxième tour dont l’expérience a prouvé qu’elles font, presque toujours, le jeu des partisans de l’intolérance et de la haine ; que, devant leurs électeurs et le peuple français, elles prennent l’engagement de se désister réciproquement lorsque leur maintien serait susceptible de donner la victoire à un soldat du Front.
Voter pour la droite quand on est de gauche c’est dur ; c’est briser avec deux siècles d’histoire, de tradition et de réflexes ; mais c’est ce qu’une immense majorité du peuple de gauche s’apprête à faire dimanche prochain pour la première fois dans son histoire.
Voter pour la gauche quand on est de droite ce sera dur ; ce sera briser, vous aussi, avec deux siècles de tradition politique et d’identité ; mais c’est ce qui vous sera demandé, comme à la gauche, si nous voulons, si vous voulez, faire front contre le Front.
Ce serment républicain (qui n’est pas un front républicain ; qui n’empêchera en aucune façon le débat, la querelle démocratiques ; qui n’exigera de personne l’abandon de son identité, la renonciation à ses choix, la mise au rancart de la bonne querelle des programmes et des idées) ce serment républicain, cet acte refondateur par lequel les partis républicains décide- raient de ne pas faire aux antirépublicains le cadeau de leurs divisions, je vous suggère, cher François Bayrou, chers amis de l’UDF, d’en être les initiateurs.
Vous êtes les premiers, ici, à Marseille, à être venus au contact du Front antinational pour en contester les thèses.
Soyez les premiers à dire à vos amis aujourd’hui absents de Marseille : oui, il est légitime que le FN s’exprime ; oui, en démocratie, il y a liberté pour les ennemis de la liberté ; mais tout républicain, de droite comme de gauche, a le devoir de sauver la République avant de sauver son parti ou son camp.
Qui, mieux que vous, peut tenir aujourd’hui ce langage ?
Qui, mieux que les héritiers de Teitgen et de Schuman, peut convaincre le peuple de droite qu’il y a une hiérarchie dans les appartenances et les combats ?
Soyez la conscience de la droite – comme vous fûtes celle de l’Europe en construction.
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