Je fais le vœu que le peuple américain, qui n’a pas pardonné à Clinton d’avoir menti sur une fellation, ni à Richard Nixon d’avoir appuyé sur une touche de magnétophone, sanctionne, en novembre prochain, un Bush qui a menti, lui, sur le thème des armes de destruction massive en Irak.

Je fais le vœu – car je suis, en même temps, beau joueur – que la chute puis la capture de Saddam Hussein ouvrent réellement la voie à ce cours nouveau géopolitique que nous promettaient les partisans de la guerre : je fais le vœu que Kadhafi soit sincère quand il dit renoncer à ses ambitions militaires ; que les ayatollahs iraniens soient sérieux quand ils se rapprochent de Washington ; les Syriens crédibles quand ils envoient les premiers signes d’un dialogue possible avec Israël.

Je fais le vœu que 2004 soit, enfin, l’année de la réforme de l’ONU : n’était-ce pas le vrai point fort de l’argumentation américaine ? n’y avait-il pas quelque chose d’étrange, en effet, dans l’idée de confier le destin du monde à une organisation internationale dont la commission des droits de l’homme était présidée par la Libye ? et pourquoi pas une réforme alors, une toute petite réforme aux conséquences incalculables : de même que, dans la vie, l’on prive de ses droits civiques un criminel caractérisé, pourquoi ne pas suspendre, pour un temps donné, le droit de vote d’un Etat convaincu de génocide, de crime contre l’humanité, de manquement grave au droit de ces minorités ?

Je fais le vœu que les altermondialistes français déclarent persona non grata, en 2004, le prêcheur islamiste et antisémite Tariq Ramadan, qu’ils ont, en 2003, porté sur les fonts baptismaux – je forme le vœu qu’ils le fassent vite, très vite, avant qu’il ne soit trop tard et que le juge espagnol Garzon ne balance les informations dont il paraît disposer quant aux liens dudit Ramadan avec la mouvance d’Al-Qaeda.

Je forme le vœu que la France oublie, pour de bon, l’infecte affaire Baudis ; je forme le vœu que le Français Alain Juppé, avec lequel je n’ai, dans le passé, pas été souvent d’accord, mais qui reste l’une des figures les plus présentables de la vie politique de notre pays, je forme le vœu que cet homme dont je sais bien que tout, ou presque, me séparerait à l’instant même ou` il reviendrait dans le jeu, ne soit pas empêché par les juges de reprendre, sur la scène, la place qui lui revient.

Je fais le vœu – il faudrait dire, là, le pari – d’une opération clarté qui verrait Chevènement passer définitivement à droite et Bayrou définitivement à gauche ; je fais le pari d’une année ou` il apparaîtra, de plus en plus clairement à nouveau, que les deux grands candidats à la prochaine présidentielle ne peuvent être que Jacques Chirac et Lionel Jospin. Pourquoi ? Parce que, du face-à-face entre ces deux-là, les Français ont été frustrés. Et parce que telle est la logique profonde de la société du spectacle contemporaine que tout ce qui est, non pas exactement rationnel, mais pensable, spectacularisable, doit, d’une manière ou d’une autre, devenir réel – parce que la vie politique est comme un grand film dont toutes les scènes écrites doivent être, tôt ou tard, effectivement mises en scène et tournées.

Je fais le vœu que 2004 soit l’année du prix Nobel de la paix pour Yossi Beilin et Yasser Abdel Rabbo ; que la salle soit vide, à Paris, le soir de la première du prochain spectacle de Dieudonné ; que les parents qui, depuis des années, déposaient leurs enfants à la porte du ranch de Michael Jackson pour mieux, ensuite, le faire chanter, soient poursuivis pour proxénétisme ; que les audiences de « Star Academy », au terme d’une mutation culturelle, presque anthropologique, majeure dans la sensibilité française contemporaine, chutent et se rapprochent de zéro ; je fais le vœu que Yann Moix, dont on annonce la sortie de Podium, le film adapté de son roman éponyme, administre la preuve que la France a changé et qu’il n’est plus impossible d’y être et écrivain et cinéaste.

Salman Rushdie prix Nobel de littérature ; Modiano, Sollers, Robbe-Grillet, à l’Académie ; Françoise Sagan en Pléiade, avant Marguerite Duras ; la petite revue Ligne de risque imposant ses réponses aux faux radicaux de « La littérature sans estomac » ou « à l’estomac » ; une rentrée littéraire allégée ou` l’on mettrait, d’emblée, de côté les livres dont chacun sait qu’ils ne sont destinés qu’à faire de mauvaises fictions télé ; Garcia Marquez se décidant, au terme d’une nuit de feu pascalienne, à balancer sur l’Internet les chapitres censurés de ses Mémoires ou` il dit la vérité sur Fidel Castro – autres vœux pour 2004.

Ainsi que celui-ci, le dernier. Baudelairien impénitent, me souvenant du « frémissement d’horreur » qui saisissait l’auteur des Fleurs du mal chaque fois qu’il pensait à la « femme Sand », songeant, avec lui, que cette virago d’un progressisme qui n’en finit pas, un siècle et demi plus tard, de nous encombrer de ses naïvetés funestes, avait « de bonnes raisons pour vouloir supprimer l’enfer », je fais le vœu que l’on ne nous casse pas trop les pieds, ces prochains mois, avec l’« année Sand ».


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