Normalien, agrégé, on l’appelle le pape de la nouvelle philosophie. Ce qui semble l’agacer. Il tourne actuellement une dramatique pour TF1, adaptée par Françoise Verny et Michel Favart du roman d’Aragon Aurélien. Il est l’éditeur des nouveaux philosophes chez Grasset, et son livre La Barbarie à visage humain (Grasset) vient d’obtenir le Prix d’Honneur.
Que lit un philosophe de gauche antimarxiste, célèbre pour son talent, sa virulence et ses chemises blanches à grand col ?
« Depuis l’âge de 5-6 ans, lire est mon activité principale. Je connaissais par cœur Les Trois Mousquetaires et je racontais la suite (je n’avais pas encore lu Vingt ans après et j’inventais) à mes frère, sœur et cousins. Au bout d’un moment tout le monde dormait et moi, je continuais mon histoire.
Autres souvenirs marquants : Le petit Lord Fauntleroy de Frances Burnett et Le Petit Prince de Saint-Exupéry.
Un peu plus tard, vers 12-15 ans j’ai lu, relu, La Vie de Disraëli d’André Maurois, pour les mêmes raisons qui m’ont fait aimer plus tard passionnément Albert Cohen, Belle du Seigneur. Disraëli l’enfant juif exclu de la communauté des petits lords anglais blonds et roses, on le traite de sale juif. Il passe un an à apprendre les sports de combat, retrouve le gros costaud qui l’a insulté, lui dit : “Répète un peu…” et lui casse la figure. L’enfant juif marqué au sceau de sa différence pseudo-raciale qui a juré de se venger par une œuvre et par une vie, m’a frappé.
Ensuite est venue la phase d’indigestion monstrueuse et bâtarde réservée aux têtes trop faites (comme les camemberts). J’ai désappris en préparant les concours ce qu’était lire par plaisir, j’ai perdu le contact avec le texte par excès de myopie, perdu la distance tonique, l’attention rêveuse.
Devenir éditeur ne m’a pas aidé. On lit beaucoup de mauvais livres par définition.
J’ai la nostalgie de ces temps de la première enfance, d’état de grâce initial.
Aujourd’hui je distingue entre mes contemporains selon le temps, et selon l’esprit. Les premiers je ne les lis pas à deux exceptions près : Françoise Sagan et Jean-Edern Hallier. Les seconds je les lis et relis : Saint-John Perse, Drieu la Rochelle (ses romans, surtout Gilles, pas les essais j’en ai horreur), le premier Aragon, celui du Paysan de Paris, les surréalistes, mon époque : les années trente pour lesquelles j’ai une fascination rêveuse, tous nos problèmes ont été alors aperçus.
Je suis un des derniers intellectuels à aimer Camus, c’est mal porté ! Tout ce que je peux dire aujourd’hui il l’a dénoncé avant tout le monde : les horreurs du Goulag, le refus du choix entre la potence stalinienne et la guillotine capitaliste. Et il l’a dit dans une très belle langue minéralisée par le soleil. Je retrouve cette langue chez Jean Daniel.
Je me rends compte que je n’ai pas cité de philosophes. Tant de polémiques et de faux débats ont fini par me fatiguer de la philosophie. J’aimerais dans mon prochain livre faire œuvre d’écrivain pour de bon. Il s’agira d’un traité de morale.
Ah ! ne pas oublier mon goût prononcé pour les romans policiers américains. J’en lis un par jour. Chase, Goodis, MacCoy. Ce sont les vrais romanciers de la misère humaine. Celle dont je parle dans La Barbarie, l’horreur de vivre n’a jamais été aussi bien dite. »
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