New York.

En marge de l’Assemblée générale des Nations unies et en marge, aussi, des préparatifs du 70e anniversaire de la vénérable institution, je rencontre trois personnes. Jean-Marie Guéhenno, mon condisciple à Louis-le-Grand puis à l’École normale de la rue d’Ulm, qui fut huit ans durant, de 2000 à 2008, secrétaire général adjoint, chargé des opérations de maintien de la paix, et qui, en vertu de la règle (non écrite) qui interdit à un membre permanent du Conseil de sécurité de diriger l’institution, ne se présentera pas, hélas, à la succession de Ban Ki-moon.

Vuk Jeremic, 40 ans, Serbe, militant démocrate et anti-Milosevic de la première heure, puis jeune ministre des Affaires étrangères de son pays au moment de l’indépendance du Kosovo avant d’être, l’an dernier, un très fair-play président de l’Assemblée générale : cet homme énergique, sympathique, patron de l’un des meilleurs think tanks de géopolitique, est candidat, lui, en revanche, et semble avoir des chances d’autant plus sérieuses qu’il est prévu (règle non écrite, encore) que le prochain secrétaire général vienne de cette partie de l’Europe.

Et puis Kristalina Gueorguieva, Bulgare, un peu plus âgée, ancienne de la Banque mondiale et, aujourd’hui, commissaire européenne à l’Aide humanitaire. Était-elle là, en mars 1990, à la Maison des écrivains de Sofia, où m’accueillirent quelques-uns des représentants de ce parti des dissidents qui sortait des catacombes et prenait le pouvoir ? Nous parlons, en tout cas, du grand Jeliou Jelev, qui allait devenir le premier président de la nouvelle Bulgarie et qui est mort en janvier. De Blaga Dimitrova, poétesse, fondatrice et âme du Club pour la démocratie qui m’avait reçu à l’époque et dont je garde un souvenir ému. Celle que les dirigeants du monde n’appellent déjà que « Kristalina » est candidate, elle aussi. Et elle aurait, à ce que je comprends, de grandes chances de l’emporter si elle ne devait affronter une autre Bulgare, actuelle directrice de l’Unesco, Irina Bokova, que nous avions soutenue, avec Claude Lanzmann et Elie Wiesel, à l’époque où il fallait barrer la route au candidat égyptien, Farouk Hosni, qui s’était déclaré prêt à brûler de ses mains les « livres juifs » qui pourraient encore se trouver dans la bibliothèque d’Alexandrie…

L’affaire, cette fois, est presque plus importante encore.

Et l’ONU étant la clé de voûte d’un système de sécurité collective qui peine à se mettre à l’heure des nouveaux défis qui guettent la planète, le choix de la personne qui la dirigera est absolument essentiel.

Qui aura le courage de réformer l’institution ?

Qui aura l’audace et l’imagination nécessaires pour la mettre au diapason d’un monde qui n’est plus celui, ni de 1945, ni de la guerre froide, ni même de l’après-11 Septembre ?

Lequel de ces candidats déclarés, et des autres qui ne manqueront pas d’apparaître, trouvera-t-il la formule permettant de remettre au cœur de la machine ces nouvelles puissances, ces géants, que sont l’Allemagne, l’Inde, le Brésil ou le Japon ?

Et le droit de veto ?

Est-il normal qu’un seul pays – la Russie – puisse, cinq ans durant, user et abuser de ce droit de veto pour renouveler à Bachar el-Assad un permis de tuer qui a fait, à ce jour, deux cent soixante mille morts, des millions de réfugiés et, en prime, la fortune de Daech ?

Qu’en est-il, qu’en sera-t-il, de ce droit d’ingérence qui, en langue onusienne, s’appelle responsabilité de protéger ; qui est l’un des rares vrais acquis du droit international depuis des décennies ; et qu’un certain nombre de forces, et non des moindres, semblent vouloir effacer en douceur ?

Et les forces de maintien de la paix ? Continuera- t-on avec la règle du volontariat des États qui fait, en réalité, supporter aux plus pauvres une sorte d’impôt du sang qui n’est ni juste ni de nature à donner au corps des Casques bleus sa pleine efficacité ? Et pourquoi ne pas réactiver une vieille proposition française qui date des débuts de la SDN et qui donnerait à l’ONU une force militaire propre, permanente, digne de ce nom ?

J’évoque, auprès de l’un de mes interlocuteurs, ma vieille idée de faire avec les États les plus criminels, c’est-à-dire génocidaires, comme on fait, dans les démocraties, avec les grands voyous que l’on condamne à la privation de leurs droits civiques : pourquoi ne pas les priver, ces États, le temps qu’ils changent de régime, de leur droit de vote ? est-il normal, pour ne prendre que des exemples anciens et déjà jugés par l’Histoire, qu’un Rwanda livré au Hutu Power, une Sierra Leone plongée dans la plus atroce des guerres contre les civils, l’Afghanistan des talibans, le Cambodge des Khmers rouges aient pu jusqu’à la fin (et, dans le cas du Cambodge, au-delà même de la fin…) continuer de dire le juste et le droit du haut de la plus prestigieuse tribune du monde ?

Et je ne parle que pour mémoire de cet autre scandale, maintes fois dénoncé dans ce Bloc-notes, qu’est la nomination d’États gangsters au Conseil des droits de l’homme ou même, comme l’Arabie saoudite en juin, au panel de ce Conseil : un Saoudien chargé de recruter les experts chargés d’enquêter sur le respect des droits de l’homme dans le monde ? et cela au moment même où un « opposant » de 21 ans, Ali Mohammed al-Nimr, menace d’être décapité et crucifié à Riyad ?

Il y a d’autres questions. Beaucoup d’autres. De la réponse qui leur sera donnée dépendra que le monde surmonte, ou non, les défis que représentent, ici la faillite des États, là la montée en puissance de l’État-islam et, là, la volonté de puissance déchaînée d’un nouveau tsar.

J’y reviendrai.


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