C’est la semaine où Obama fête le premier anniversaire de son élection. Et j’entends déjà les girouettes, défaitistes et autres pisse-froid : « déception, trahison – le président du Yes We Can, parti sur les chapeaux de roue, se retrouve coincé dans les bourbiers iranien, palestinien et afghan ». Eh bien, je ne suis pas d’accord. Et je continue de penser qu’il y a une autre lecture possible de ces premiers mois de gouvernement. Un négociateur qui, en Iran, reprend le recul, ou la hauteur, requis par tout bon bras de fer, qui n’exclut aucune hypothèse mais élargit juste le clavier des solutions et, donc, des sorties de crise possibles, n’est-ce pas de bonne guerre ? Le premier président qui, au Proche-Orient, n’attend pas la dernière année de son dernier mandat pour, l’œil fixé sur sa legacy, c’est-à-dire sur son image, se lancer dans une course contre la montre perdue d’avance car privée de profondeur de champ stratégique et politique, n’est-ce pas, à tout le moins, digne de considération ? Et, à propos de l’Afghanistan enfin, faut-il que nous soyons drogués à l’immédiateté, au temps court, à l’émotion, faut-il que nous ayons perdu le sens de cette matière du politique qui s’appelle la durée, pour nous étonner qu’il prenne un peu de temps avant de trancher entre le maximalisme de ceux (McCrystal, Clinton) qui poussent à l’envoi de nouvelles troupes et le pessimisme des autres (le vice-président Biden, l’influent sénateur Kerry) qui souhaitent que l’on se concentre sur la traque d’Al-Qaïda ? Je continue de croire en Obama. Et il me faudra d’autres signes, beaucoup d’autres, avant de conclure que le « Kennedy noir » n’est qu’un nouveau Jimmy Carter.

C’est la semaine où l’on nous dit que le retrait de son rival, l’ancien ministre Abdullah Abdullah, va vider de signification l’élection d’Hamid Karzaï, affaiblir son autorité déjà minée par les fraudes et renforcer, en retour, les talibans. Là encore, je ne suis pas sûr que ce pessimisme soit fondé. D’abord parce qu’un récent séjour dans les vallées les plus chaudes – Kapissa, Uzbeen – de la région de Kaboul m’incline à douter de l’analyse bêtement défaitiste sur les milices talibanes aux portes du pouvoir. Ensuite parce que, malgré les fraudes, Karzaï est l’élu d’un peuple qui – ce n’est pas rien – a dû braver le pire, c’est-à-dire les tirs de mortier sur les bureaux de vote, pour exercer son droit citoyen. Et puis enfin parce que, connaissant personnellement la plupart des protagonistes de cette affaire, ayant notamment croisé Abdullah à l’époque où il était, dans le Panchir, le frère d’armes de ces deux lieutenants de Karzaï que sont devenus le maréchal Fahim et le ministre Kanouni, je n’exclus pas un accord de dernière minute entre les frères ennemis de la famille Massoud. Que la communauté internationale, au lieu de compter les points, n’y contribue- t-elle ! Pourquoi n’utilise-t-elle pas les leviers dont elle dispose pour les aider à renouer le fil brisé de leur compagnonnage héroïque d’autrefois et à bâtir, ce faisant, une union nationale ? Et, puisqu’on parle de leviers, sommes-nous si démunis que cela se dit face à la corruption qui gangrène le régime et, à terme, le condamne ? Allons, Messieurs Solana et Kouchner ! Allons, Madame Clinton ! Un peu d’imagination, amis de l’Afghanistan, pour aider ce peuple martyr à inventer sa démocratie !

Et puis, comme c’est la semaine où l’on va fêter le vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin, je voudrais mentionner, pour finir, un film qui sort ces jours-ci et qui ne parle, malgré les apparences, que de cela. Il s’appelle Le Concert. Il est signé d’un cinéaste, Radu Mihaileanu, dont j’avais déjà, il y a onze ans, salué le premier long-métrage. Et c’est l’histoire de l’ancien chef d’orchestre du Bolchoï qui, pour avoir refusé de se séparer de ses musiciens juifs, fut transformé par Brejnev, trente ans plus tôt, en homme de ménage. Un jour qu’il passe la serpillière dans ses anciens bureaux, il tombe sur un fax invitant le célèbre orchestre à un concert exceptionnel à Paris. Et il a, alors, l’idée, complètement folle, de battre le rappel de ses anciens musiciens, voués, comme lui, depuis trente ans, à des petits boulots ; de reconstituer, avec eux tous, son cercle des musiciens disparus ; et, au terme d’une machination qui ne serait que cocasse si l’auteur ne nous apprenait que c’est aussi, pour partie, une histoire vraie, de prendre la place du vrai Bolchoï pour aller triompher, et prendre sa revanche, à Paris. Fantaisie. Poésie. Variations sur l’harmonie perdue et retrouvée. Image bouleversante, comme dans le Buena Vista Social Club de Wim Wenders, de ces vieux musiciens, clochards mystiques, doubles modernes d’un Lazare une fois encore ressuscité, à qui il ne faut qu’un instant pour retrouver les chemins de la grâce. Mais fable, aussi, sur cette maladie des âmes que fut le communisme et dont on a longtemps cru qu’elle laisserait des dégâts irréparables. Eh bien non. Preuve, une fois de plus, que non. Comme Vaclav Havel en République tchèque, comme d’autres en Bulgarie, comme tant de dramaturges, philosophes, écrivains, que l’on avait cru briser en les transformant en chauffagistes, plombiers ou terrassiers, mais qui, quand le communisme se dissipa tel un mauvais charme, nous rappelèrent que le talent, comme le caractère, est indomptable, Andreï Filipov est ce virtuose qu’un coup de baguette suffit à rendre à son art. Optimisme, encore. Espoir.


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