Louis-Henri de La Rochefoucauld : Quels réalisateurs vous inspirent ?
Bernard-Henri Lévy : Pasolini pour les documentaires qu’il a tournés à la fin de sa vie, et Lanzmann – Lanzmann aurait été furieux que je parle à son propos de documentaires. Mais tout de même…
LHLR : Slava Ukraini est un film « à chaud ». Quand et comment décidez-vous d’y mettre un point final alors que la guerre, elle, n’a pas dit son dernier mot ?
BHL : C’est une question difficile : à quel moment on prend le parti d’arrêter. C’est indécidable, douloureux, on se réveille la nuit en se disant qu’on a eu tort et qu’il fallait continuer. Donc, à quel moment on coupe ? À ça, il n’y a pas de réponse théorique. Quand j’ai compris que la guerre risquait de durer encore, je me suis dit qu’il fallait sortir le film là, à un moment où il pouvait servir à quelque chose, avoir une influence sur l’opinion.
LHLR : Techniquement, sur place, comment vous y prenez-vous ? Quelles précautions prenez-vous ?
BHL : Aucune précaution ne vous met à l’abri d’un obus, d’un missile. Cela dit, j’avais une équipe relativement importante, avec des précurseurs qui partaient en avance et qui testaient la route. Après, vous pouvez tomber sur un agent-double à Kherson… Le mot de passe a pu changer… Dans Une autre idée du monde il y a une scène d’embuscade en Libye où, avec mon équipe, nous nous faisons tirer dessus. En Ukraine, heureusement, rien de tel. Les gens sont vraiment patriotes. Et ils m’ont accueilli fraternellement. Si on me disait de ne pas filmer, je n’insister pas, j’allais ailleurs. Au total, beaucoup de rushes. Car dans ce film, il n’y a que ça : du terrain. Pas une seule image d’archive. Tout a été filmé par mes camarades et moi. Nous montrons ce que nous voyons par nos propres yeux.
LHLR : La plupart des images datent de 2022, mais on vous voit aussi place Maïdan en 2014 et avec Zelensky en 2019. Qui est-il pour vous ?
BHL : Je ne vois pas à qui on peut le comparer dans l’histoire… On a beaucoup dit Churchill, et ce n’est pas faux. Deux jours après l’invasion de l’Ukraine j’avais fait un papier dans le JDD où je commentais sa célèbre réponse à Biden : « Je n’ai pas besoin d’un taxi, mais de fusils. » Il y a aussi eu la réunion Zoom avec les dirigeants européens, celle où il leur dit que c’est peut-être la dernière fois qu’ils le voient vivant. J’ai senti, dès ce moment, qu’il y avait une grandeur cachée dans cet homme. Dès 2019, quand je l’ai rencontré, j’ai compris qu’on avait affaire à un phénomène. Zelensky est un comédien, mais ce n’est pas Coluche ! C’est plus Reagan que Coluche.
LHLR : Quelles sont vos prédictions quant à la fin de la guerre ?
BHL : La victoire de l’Ukraine me paraît inévitable – ce n’est pas un vœu, mais un pronostic. Et puis j’imagine un effondrement de l’armée russe et une décomposition sous une forme ou sous une autre du régime. Et enfin, si l’on veut une paix durable, il faut qu’on laisse les Ukrainiens aller au bout de leur victoire, et qu’on ne réitère pas l’erreur des accords de Dayton à la fin de la guerre de Bosnie-Herzégovine.
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