Il fallait le dire. Il l’a dit. Je parle de Jean-Marie Le Pen commentant, sur une radio, l’assassinat à Alger du directeur de El Moujahid. Outrage à la victime comparée au « directeur d’un journal nazi ». Hymne aux meurtriers assimilés, eux, mais oui ! à d’authentiques « résistants ». A part Le Monde de ce 5 avril, nul ne reprend le propos – et c’est dommage : car je trouve intéressant le cas de cet homme qui voit dans l’épicier tunisien du coin une menace à l’identité française mais fraternise avec les Algériens dès lors qu’ils sont membres du FIS ou du GIA. Dans l’ordre de l’ignoble, cela vaut bien tel de ses trop fameux jeux de mots. Et s’il fallait une nouvelle preuve qu’il existe une internationale intégriste et que le Front national en fait partie – la voici.
Cracovie. « Vous semblez bien remués par cette nouvelle Encyclique sur l’euthanasie et l’avortement », me dit un journaliste catholique, contemporain de Karol Wojtyla et qui le connut dans sa jeunesse. « C’est négliger, d’abord, qu’un pape est un pape et qu’il faut bien qu’il soit là pour faire son travail de pape ; mais c’est omettre, ensuite, que ce pape-ci est, aussi, un formidable comédien qui rêvait, à vingt ans, d’être le plus grand acteur de Pologne et qui l’est peut- être, au fond, devenu ». Jean-Paul II et le théâtre… Jean-Paul II, comédien et martyr… Ce Jean-Paul II au physique de jeune premier dont les amis s’écrièrent, quand il entra au séminaire : « Karol vient de rater sa vie »… C’est vrai : on oublie que cet homme admirable, ce prophète, ce personnage « claudélien » dont parle, ce jeudi, Jean Daniel, fut et, sans doute, demeure un fou de mise en scène et de spectacle… Enfance des chefs, enfance des saints – et leur inépuisable mystère.
Raoul Ruiz au « Cercle de Minuit ». Que retenez- vous du surréalisme lui demande, en substance, Laure Adler (dont on ne remarque pas assez, soit dit en passant, qu’elle a, non seulement « repris » l’émission de Field, mais qu’elle a réussi, bien plus exceptionnel ! à la transformer, l’éclipser et, au fond, la faire oublier) ? Réponse du cinéaste (et c’est, sur le sujet, ce que j’ai entendu de plus juste depuis longtemps) : je garde les techniques surréalistes mais je rejette la religion. Les techniques : un art du collage, un goût du montage, ce sens de la libre-association dont Buñuel au cinéma et Breton en littérature ont fait un si merveilleux usage. La religion : un bric-à-brac romantico-mystique, une obsession « mediumnique » d’artistes qui n’aspiraient qu’à une forme de génie – aller puiser dans les eaux profondes de l’inconscient « collectif » et en tirer des œuvres qui ne seraient plus « les leurs » puisqu’elles appartiendraient à « tous ». Le délire occultiste de Breton… Ce côté flic, cette insupportable terreur dans les lettres qui en furent le corrélât…. Cette invention, pour les mêmes raisons, du collectivisme littéraire… Et puis la splendide singularité de Nadja et des « femmes aux épaules de champagne » – dont un cinéaste, aujourd’hui, poursuit visiblement la quête.
Le Pen encore. L’étrange et persistante rumeur – la dernière scie de la campagne – d’une collusion, ou même d’un pacte tacite, entre lui et Édouard Balladur. On peut reprocher tout ce que l’on veut à Balladur. On peut contester sa méthode, son programme, son style ou – c’est mon cas – sa politique internationale. Mais faut-il que le niveau du débat soit tombé bas pour que soit ainsi reprise, sous des plumes généralement mieux inspirées, une ineptie de ce calibre ? Les faits. C’est-à- dire les textes. Parmi les personnalités de premier plan de la famille RPR-UDF, il s’est trouvé des hommes pour revendiquer une « communauté de valeurs » avec le Front national. Il s’en est trouvé pour redouter « l’invasion » de notre beau pays par des hordes d’étrangers, clandestins ou incontrôlés. On se souvient des dérapages de cet autre, intraitable, au demeurant, sur la question des alliances avec le Front national, mais incommodé par les supposées « odeurs » dégagées par les foyers d’immigrés. On aurait bien du mal, en revanche, à citer un texte, ou une déclaration publique, du Premier ministre où se trahirait pareil « racisme ordinaire ». Désinformation. Intoxication. Et cette loi du Spectacle moderne dont il faut que candidats et électeurs s’accommodent : en matière de rumeur, ou de calomnie, il n’y a jamais de seconde frappe.
Quand la télé repasse un film que l’on a beaucoup aimé, l’usage est de faire la grimace : « Ah ! l’aura du cinéma ! son éclat ! cette magie de la salle obscure que le petit écran va dissiper ! » Eh bien je crois que l’on se trompe et qu’en réduisant en effet le film, en le dépouillant d’un peu de son lustre ou même de sa fraîcheur, le nouvel écran lui rend une part de sa vérité. La télé « désquame » le film, disait, je crois, Daney. Elle ôte à l’image une couche, presque une pellicule. Elle veut sa peau. Elle lui fait la peau. Et le fait est qu’elle montre l’œuvre dans une lumière plus pauvre, mais plus révélatrice. Deux exemples cette semaine. Sept Morts sur ordonnances dont sautent aux yeux les conventions inutiles, les clichés. Et puis, plus ancien, Le Samouraï de Melville avec sa structure si nette, ses dialogues, ses silences, sa noirceur inentamée, son pessimisme – et cette façon de nous montrer Delon comme si on ne l’avait jamais filmé.
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