Le sujet de la semaine c’est toujours, bien sûr, Israël. Quand, comment, pourquoi les protagonistes du conflit le plus insoluble de la planète ont-ils décidé de lever les pouces et d’interrompre la lutte à mort ? Bruno Frappat, dans Le Monde, avance l’explication la plus simple mais, au fond, la plus plausible : ils étaient fatigués, voilà tout ; simplement fatigués ; c’était une lassitude extrême ; une saturation de violence et de haine ; ils étaient comme de vieux complices, unis par la guerre davantage qu’ils ne le seront jamais dans la paix – et découvrant un beau matin, non pas que la guerre « coûte », ni qu’elle est « irrationnelle », mais qu’elle requiert un désir que, soudain, ils n’avaient plus.
Mikhaïl Gorbatchev, chez Wim Wenders. On croit rêver. Car enfin voici un homme d’État, que dis-je ? une sorte de grand homme. Voici l’un des acteurs majeurs de l’histoire contemporaine – l’un de ceux qui auront le plus fait pour en infléchir, ou bousculer, le cours. Or, son œuvre faite, où va-t-il ? Il apparaît dans un film qui, même s’il y joue son propre rôle, reste un film de cinéma. Gorbatchev devant la caméra. Gorbatchev en contre-plongée. Gorbatchev refaisant deux, trois, peut-être dix fois la prise. A-t-il été maquillé ? Habillé ? A-t-on songé à lui dissimuler sa tâche de vin, sur le front ? A-t-on hésité sur l’objectif ? Le filtre ? Ces questions, quoi qu’on en dise, se sont nécessairement posées. Et il faut imaginer l’homme de la perestroïka et de la glasnost, de la fin du communisme et de la dislocation de l’empire russe, marionnettisé par son cadreur et se prêtant à la comédie. Triomphe du spectacle. Défaite de la politique. Jadis on commençait acteur, et on finissait chef d’État : c’était Reagan. Aujourd’hui on commence chef d’État, et on finit acteur : c’est, apparemment, Gorbatchev.
A propos de marionnette, cette phrase terrible d’un cacique RPR, hier matin, veille du « rassemblement » de Strasbourg : « Notre problème numéro 1, c’est de déguignoliser Chirac ». Est-ce parce que j’ai la phrase en tête ? Mais ce soir, à la télé, dans les images que l’on nous montre du meeting supposé « triomphal », je le trouve plus guignol, au contraire, que jamais. Le timbre. Le ton. Les mouvements du corps ou du menton. Jusqu’à cette façon de jouer l’optimisme, ou l’allant, qui ne lui appartient plus et que lui souffle « l’autre », son ombre, son jumeau – ce double que chacun porte en soi mais qui est en train, lui, de lui dévorer l’âme. J’aime, personnellement, Chirac. C’est un homme de cœur et de caractère. Mais il y a quelque chose de terrible dans cette cannibalisation du cœur par l’image, du caractère par la caricature. Ventriloque de lui-même et de sa propre représentation, sera-t-il la première victime de ce nouveau « guignol’s band » que devient la vie politique ?
Le Docteur Barnes, nous dit-on, répugnait à montrer ses trésors. Et c’est quasi contre son gré que l’on nous en ferait, aujourd’hui, profiter. L’histoire, mine de rien, pose une question de fond – qui est de savoir à qui, réellement, appartiennent les chefs-d’œuvres. Première réponse : à leurs propriétaires, qui en font ce que bon leur semble (les dévoiler ou les cacher, les exposer ou les réserver) et qui sont, à la limite, comme ces pharaons qui se faisaient ensevelir avec leurs richesses, leurs chevaux, leurs meilleurs guerriers, leurs serviteurs – ou comme ce Japonais, acquéreur des fameux Tournesols, qui voulait se faire enterrer, ou incinérer, avec son Van Gogh. Seconde réponse : ces gens ne sont que les usufruitiers des œuvres ; elles sont à eux, et pas à eux ; elles sont comme les plages de Saint-Tropez ou le corps selon John Locke, des « demi-propriétés » qui n’appartiennent vraiment qu’à Dieu (John Locke) ou à la collectivité (Saint- Tropez) et dont aucun homme, si riche soit-il, ne saurait monopoliser la jouissance. Qu’est-ce qu’un collectionneur ? Quels sont ses droits ? Ses devoirs ? Un seul peut-il acquérir, thésauriser, la beauté du monde ? Questions vertigineuses.
Un mot, encore, sur Genet. Ou plutôt deux. L’importante préface de Sollers, d’abord, à la biographie d’Edmund White. Je ne l’avais pas lue, la semaine dernière. Sans quoi j’aurais cité ce qu’elle dit des malentendus sartriens dans son Saint-Genet. (Quelle drôle d’histoire, soit dit en passant, que celle de ce personnage – Sartre – unanimement tenu pour le grand intellectuel du siècle et qui se sera, en littérature autant qu’en politique, si obstinément trompé !). Et puis ce numéro du Magazine littéraire consacré, encore, à Genet. C’est toujours bien, le Magazine. Jean-Claude Fasquelle a su en faire l’un des meilleurs journaux littéraires d’Europe et l’on y trouve toujours quelque chose. Cette fois, ce sont deux inédits. L’un, de Genet soi-même. Et l’autre, sur Genet, de Lacan (J’y relève, à propos des Paravents, cette phrase au drôle de parfum surréaliste et où tout, au fond, est dit : « La société ne saurait se définir autrement que par un état plus ou moins avancé de dégradation de la culture »).
Lacan. Sa biographie, par Élisabeth Roudinesco. Comment ne pas songer au mot de Cioran : « Je n’ai jamais compris comment le risque d’avoir un biographe n’a jamais dissuadé personne d’avoir une vie. »
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