Nous avions le Puy-du-Fou, avec ses chouans en son et lumière. Voici, maintenant, Germinal avec ses terrils de convention, ses gueules noires, ses idées courtes, son faux charbon, son goût du folklore et de l’image pieuse, ses filons de mauvaise épopée, sa condition ouvrière, relookée musée Grévin – voici l’autre grand spectacle à la française supposé rivaliser, lui, avec les effets spéciaux de Jurassic Park et que ni le jeu de Depardieu, ni la sobriété de Terzieff ou Carmet, ne sauvent, hélas, de la débâcle. Face à cette avalanche de poncifs et de démagogie populiste, face à cette déconcertante aptitude à se mouler dans le cliché et le stéréotype le plus usé, Libération parle – et c’est vrai – de « réalisme socialiste » et de « cinéma à la soviétique ». A cause de la coïncidence et de l’effet de proximité, à cause de l’impression de déjà-vu qu’offre l’édifiant tableau d’un peuple momifié et assigné à sa misère, je préfère parler, moi, d’une esthétique « Puy-du-Fou » – avec tout ce que l’idée suggère de bons sentiments, mais de mauvais goût. Ch’timis contre chouans… Corons contre bocage… Renaud, en de Villiers de gauche – à moins que ce ne soit de Villiers en Renaud de droite… En sommes-nous là, vraiment ? N’aurions-nous le choix, réellement, qu’entre ces deux formes de kitsch, de détournement de sens et de mémoire ? Une chose, en tout cas, est sûre : on pouvait se dispenser de railler le pèlerinage de Vendée si c’était pour, huit jours plus tard, communier dans son analogue ouvrier. Berri-de Villiers, même combat. Même lyrisme préfabriqué. Même mythologie en kit, avec son identique façon de métamorphoser le martyre en spectacle, les hommes de chair en figures de cire. La France ne s’ennuie pas – elle ressasse, radote et, finalement, régresse.

Entendons-nous. Je n’ai rien, bien au contraire, contre le projet de rendre hommage au monde disparu de la mine (pas plus, soit dit en passant, qu’à celui des Vendéens). Mais là où les choses se gâtent et deviennent franchement odieuses, c’est quand on pousse si loin la duperie, et donc la caricature, qu’on défigure les personnages (Lantier en marxiste, il fallait oser !), qu’on inflige à Zola lui-même ce que le capitalisme du XIXe a fait à ses mineurs (l’exploiter et, donc, le détruire !) et qu’on enrôle leurs fantômes dans un combat douteux et, bien sûr, imaginaire où se travestit en grande cause le marketing le plus éhonté (cf. le fameux « débat national » que notre cinéaste, depuis la sortie du film, ne cesse, comiquement, d’appeler de ses vœux).On imagine ce qu’auraient tiré d’un tel roman le Bertolucci de 1900 ou le Renoir de La Bête humaine. On rêve au beau film d’hommage, c’est-à- dire de deuil et de vraie mémoire, qu’ils nous auraient donné : un film douloureux et tragique, réellement noir, racontant non pas que la mine est toujours là, condamnée à rejouer, pour l’éternité ou presque, sa geste de damnés – mais comment et pourquoi, à quel prix, à travers quels drames ou quels progrès, elle s’est effacée de nos paysages. Mais non ! Monsieur Berri, comme ses invités-TGV de l’autre soir, a préféré rendre visite aux ouvriers. Il a laissé ses thuriféraires, confondant la cause de son film avec celle de la myopathie, clamer que voir Germinal est un devoir civique. Et quant au petit Renaud, ne dirait-on pas qu’il a fini, le plus sérieusement du monde, par se prendre pour son Lantier – quand il n’est jamais, et il le sait, que le VRP d’une « révolution » qui irait de Babeuf à Berri ?

Car le problème, on l’aura compris, c’est aussi celui de la gauche et de la façon – au choix : indécente ou suicidaire – dont elle entend profiter de l’aubaine. Qu’elle ait commis la maladresse d’affréter ce fameux TGV pour permettre à trois cents privilégiés de déguster un peu de homard, puis d’assister à la messe – pardon : à la première –, qu’elle n’ait pas compris que c’est de ce genre d’erreurs qu’elle est morte et qu’elle tarde à se relever, c’était déjà un comble : un certain Marx a tout dit là-dessus dans l’apostrophe fameuse, et qui paraît faite pour la circonstance : « Après avoir soupé au profit des mineurs, allons danser au profit des Polonais »… Mais qu’elle s’engouffre dans la brèche, qu’elle se ressource dans les gueules noires à l’heure où les banlieues flambent, qu’elle communie dans un Zola revu et corrigé par la pire « qualité française » quand la vraie question serait de savoir ce que Zola, de nos jours, écrirait ou filmerait, bref, qu’elle transforme la mine en musée et que, dans ce musée, elle parte en quête de son identité perdue, voilà qui en dit long sur son désarroi et son coma. Jadis, quand elle régressait, elle remontait à Guy Mollet – extrémisme verbal, conservatisme politique. Aujourd’hui, en exhumant et embaumant la figure défunte du mineur, elle gagne, ou perd, un siècle – lyrisme imbécile et grand-guignol garanti. Reste-t-il, dans la salle, un spectateur attardé qui serait soucieux – et capable – de réfléchir à ce que pourrait être la gauche moderne de demain ? Je l’espère, mais ne jure de rien. Cours, camarade, cours donc, le vieux monde est – toujours – derrière toi : mais, avec Germinal, il se rapproche.


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