Un dernier mot sur cette affaire de loi Falloux. Je ne retire rien à ce que je disais, la semaine dernière, du caractère irréel de ce « grand débat national » dont les termes et les enjeux sont si évidemment archaïques. Reste, cela dit, l’essentiel. A savoir la laïcité même – et ce qu’elle pourrait être si, au lieu d’en ressasser les slogans les plus éculés, nous en remettions sur le métier les concepts fondateurs. La vraie laïcité ? Celle qui, par-delà la querelle scolaire, nous permettrait de penser, et combattre, la montée des intégrismes. La laïcité en Algérie. La laïcité en Iran. La laïcité contre les fondamentalismes, c’est-à-dire les pensées du fondement, ou les délires de pureté (car qu’est-ce, étymologiquement, que l’intégrisme sinon la religion de la pureté ?) qui sont en train de redevenir le mal de cette fin de siècle.
Salman Rushdie à Londres. Rencontre, pour Arte, avec Claude Lanzmann, Pierre Nora, Fritz Raddatz et moi. Très vite, la conversation se fixe sur le Rushdie que l’Affaire a éclipsé et qui est pourtant le seul qui compte puisqu’il s’agit de l’écrivain. Sa conception du roman. Sa foi dans les pouvoirs du livre. L’affinité de la littérature avec quelque chose qui serait de l’ordre du « diabolique » ou du « pervers ». Et puis – c’est Lanzmann qui parle – la série de citations qui, dans le corps même des Versets, semble indiquer qu’une part de lui-même savait, ou anticipait, l’effroyable cataclysme que le texte pouvait provoquer. Salman hésite. Sourit. Il sait que le terrain devient glissant et prend garde de ne pas répondre. Mon explication, plus prudente, mais dont je dois avouer qu’il ne la confirme pas davantage : les livres se font dans notre dos ; ils sont toujours plus malins, plus intelligents que leurs auteurs ; et c’est pourquoi ils savent parfois, mieux que l’auteur, ce qu’il y a mis.
Le cas Debray. Je ne me lasse pas de m’interroger sur l’énigme du cas Debray. Car enfin voilà un homme qui a combattu en Bolivie, connu la prison à Camiri – voilà un intellectuel qui, lorsqu’il conseillait Castro, Allende ou Mitterrand, ne pouvait pas ne pas avoir en tête quelques-uns des grands modèles de la tradition littéraire du XXe siècle. Serait-il notre Malraux ? Notre Barrés ? Prenait-il le risque ou le chemin, erreurs et reniements aidant, de devenir une sorte de Péguy ? Toutes les hypothèses étaient permises. Toutes. Sauf de le voir, vingt ans après, s’acharner, comme il le fait, à effacer, ou banaliser, sa part de mythologie – le dernier épisode du genre étant cette soutenance de thèse, en Sorbonne, à laquelle la presse, mais lui aussi, semble attacher tant d’importance. Je n’ai rien contre la Sorbonne. Mais tout de même ! Commencer avec le « Che », pour finir entre Dagognet et Bourgeois ! Entrer dans la légende, pour demander son visa de sortie vers l’Université ! J’ai écrit, une fois, un article intitulé : « Régis Debray, un fou qui se prend pour Régis Debray ». Eh bien je me trompais. Car la vérité c’est qu’il ne sait pas, ou ne sait plus, ou veut, pour de mystérieuses raisons, oublier qu’il est ce Régis Debray. Situation unique – et qui ne manque évidemment pas d’allure – d’un écrivain qui aura passé sa vie à tuer la fiction en lui.
Que Boutros Boutros-Ghali sanctionne le général Cot, c’est dans l’ordre. Que la France obtempère, qu’elle ne défende pas ses propres soldats et qu’elle ne saisisse pas l’occasion – pour une fois, justifiée ! – de rappeler qu’elle a, sur le terrain, le plus fort contingent de casques bleus et aurait donc été fondée à donner son avis sur la question, ne surprend, hélas, pas non plus. Ce que l’on comprend moins, c’est le silence des uns et des autres – je pense à ceux, notamment, qu’avait indignés, en son temps, le rappel de Morillon. Le panache est au moins aussi grand. Le scandale, aussi criant. Et l’on n’entend, étrangement, plus personne. Assoupissement des consciences ? Léthargie généralisée ? Ou la Bosnie qui, tout doucement, glisserait hors des esprits ?
La casquette de Michel Rocard, lors de cette manifestation de dimanche. Elle ne lui va pas, cette casquette. Elle ne colle pas avec le personnage. Elle a quelque chose d’emprunté qui surprend les observateurs – jusqu’à ce que l’un d’entre eux s’avise qu’elle a été, non empruntée, mais achetée un jour où l’intéressé alla voir Mitterrand à Latché. Pourquoi l’a-t-il remise, alors ? Et pourquoi en ce jour, qui devrait être celui du réveil de la gauche et donc, pour lui, de l’émancipation ? Toutes proportions gardées, c’est un peu l’histoire de La Toque de Clementis, cette nouvelle de Kundera où l’on voit le ministre socialiste Clementis, sur le balcon du Palais, à Prague, prêter sa toque à Klement Gottwald pour, tandis qu’il lit son discours, l’abriter un peu de la neige. Le temps passe. Les socialistes s’en vont. Le gentil Clementis disparaît des photos officielles. Sauf qu’il reste cette photo avec, sur la tête de Gottwald, la fichue toque que rien n’efface. Qui, en l’occurrence, est Gottwald ? Et qui est Clementis ? Je vous laisse le deviner. Une seule certitude : on croit tout effacer et recommencer ; on pense se débarrasser d’un passé, qui encombre et qui pèse ; c’est, en politique, péché mortel – il y aura toujours une toque, ou une casquette, pour rappeler aux étourdis la loi.
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