Londres. « Journée historique » titre la presse anglaise à propos de l’ouverture de négociations entre les terroristes irlandais et le gouvernement de Sa Majesté. Se méfier des « journées historiques ». Elles ne sont jamais celles que l’on croit. Et, lorsqu’elles arrivent vraiment, on ne les reconnaît généralement pas. C’est l’exemple, cité par Borges, de Tacite qui consigne, mais sans le voir, l’événement de la Crucifixion.

Sur France 3, dans la série de Bernard Rapp, hommage à Jean Genet. Ces yeux clairs. Ce visage trop rond. Ces longs silences de séducteur à l’affût. Cette façon, quand Bertrand Poirot-Delpech lui demande (je résume) : « Vous avez vécu entre deux mondes, quel effet cela vous fait-il ? » de répondre tranquillement (je cite toujours de mémoire) : « Cela m’aura au moins permis de semer la pagaïe… en moi ! ». Et puis, à la toute fin, l’image du petit cimetière de Larache, presque abandonné et encadré – mais oui ! – par un bordel et une prison. Y a-t-il beaucoup d’écrivains qui aient eu la chance de vivre jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’après leur mort, au cœur de leur monde intérieur ?

Mercredi prochain, 1er Mars, et sur France 3 toujours, le beau portrait de Max Jacob que signent Anne Andreu et Alain Ferrari. Oublié, Max Jacob ? C’est vrai. Mais c’est presque mieux ainsi. Comme si l’oubli ne rendait que plus passionnante la redécouverte et comme si cette cure obligée de silence, cette chute dans les limbes de « la littérature qu’on ne lit plus », ne faisaient qu’aiguiser, lorsqu’elle nous revient, la parole du pénitent de Saint-Benoît-sur-Loire. Vertu, pour les écrivains, de la « traversée du désert ». Génie de cet engourdissement mystérieux qui s’empare, alors, de l’œuvre et qui, loin d’être, comme on croit, son « enfer » est, au contraire, sa chance. C’est vrai des morts. Mais peut-être l’est-ce, aussi, des vivants. S’astreindre, quand on est vivant, à de fécondes injections de silence.

Baisse d’Édouard Balladur dans les sondages. On peut, évidemment, pester contre la « frivolité » de l’électorat. Mais on peut aussi – et cela me paraît plus juste – trouver dans cette versatilité un signe et, dans ce signe, une exigence : celle d’une opinion qui veut voir le candidat à l’œuvre, assister à sa campagne, contempler sa victoire ou, à l’inverse, sa déconfiture – et qui, pour peu que le champion se dérobe, pour peu qu’il semble répugner à cette comédie que l’on attend de lui, manifeste son humeur en le faisant « baisser ». Élection et spectacle. Élections, jeux du cirque. On ne comprend rien au fonctionnement des démocraties modernes si l’on oublie que ces élections y sont, d’abord, affaire d’image, de théâtre, donc de regard. Le premier vœu des citoyens ? Voir, simplement voir, le présidentiable en campagne.

Du Poisson dans l’eau de Mario Vargas Llosa, j’entends dire qu’il nous retrace la « saison en politique » d’un des plus grands romanciers contemporains. C’est vrai et faux. Car le plus beau dans le livre n’est pas la saison mais l’arrière-saison. Non pas : « comment je suis entré en politique », mais : « comment j’en suis sorti ». Non pas (histoire cent fois racontée) : « comment je me suis engagé » mais (plus rare et, surtout, plus tourmenté) : « comment je me suis désengagé ». La politique comme une impasse. La politique comme une glu. Cette tentation politique qui a perdu tant d’écrivains, dont ils ont eu tant de mal à se défaire et dont on voit, ici, les sortilèges se dissiper. Revenir de la politique comme on se remet d’une maladie. Revenir à la littérature, comme on revient à soi. Cette belle passion (littéraire) d’être un autre que l’on voit aux prises avec le reality-show d’une autre campagne électorale, péruvienne celle-là – et qui, au fil du livre, finit par en triompher.

Que Brigitte Bardot se fasse l’inlassable avocate de la cause des animaux n’a, en soi, rien de scandaleux. Ce qui choque, en revanche, c’est que la même Bardot, qui trouve de si justes accents pour dénoncer la façon dont sont transportés les veaux, n’ait jamais, ou presque jamais, un mot pour s’émouvoir du calvaire rwandais, soudanais, bosniaque, tchétchène, bref humain. Un lien entre ceci et cela ? Et y a-t-il dans l’« animalisme » effréné quelque chose qui rend sourd aux crimes commis contre ses semblables ? Hypothèse simple : en traitant les bêtes comme des hommes, on finit par voir les hommes comme des bêtes ; et c’est à force de traiter les chiens comme des humains que l’on consent à ce que les humains soient, partout, traités comme des chiens.

Télévision encore. Hasard d’une série de films. Il y a les cinéastes qui donnent le sentiment d’arriver toujours trop tard sur les lieux de leur propre film (c’est, au fond, la grande faiblesse de Lelouch). Il y a ceux qui, à l’inverse, ont l’air d’arriver toujours un peu tôt (la caméra laconique, elliptique, intelligente mais presque trop, de Fassbinder dans Le Mariage de Maria Braun.) Et puis il y a la magie de la caméra qui tombe bien, des dialogues qui sonnent juste, du regard que l’on sent exactement à l’heure du monde qu’il a suscité et qui, à force de mendier la lumière, s’en pénètre et nous la restitue (c’était, cette semaine, le miracle du Smoking de Resnais). Le cinéma ? Une autre histoire de l’œil.


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