C’est la loi du soufre et du salpêtre. Il ne faut jamais mêler du soufre à du salpêtre car le mélange est détonant. Eh bien c’est la même chose en politique : on peut être « nationaliste » ; on peut être « socialiste » ; mais il ne faut jamais mêler le national et le socialiste car, si innocente que soit l’intention, le cocktail est toujours explosif. C’était, dans l’Allemagne de 1932, les fameuses « sections-beefsteak » – rouges dedans, brunes dehors. C’est, dans la France du XXe siècle, la tentation national-populiste – et c’est, toutes proportions gardées (et même si elle est encore, grâce au ciel, largement inoffensive), la tentation, aujourd’hui, dans notre paysage électoral, de nos micro – « sections macdo » : ces hommes que leur haine de la « bourgeoisie », leur aversion pour les « élites » ou la « technostructure », convertissent à on ne sait quel « néogaullisme de gauche »….

Publication, en Folio, de la Correspondance de Mallarmé. Cette lettre, bouleversante, où l’auteur du Coup de dés avoue être tombé littéralement malade après qu’une revue a publié un poème de lui où manquait une majuscule…

Prendre le parti de ses personnages. Épouser leur cause – fût-elle indéfendable. C’est le propre de l’acteur. C’est, aussi, celui de l’auteur. Welles : « Les grands auteurs sont tous des acteurs manqués ». Quels sont les grands acteurs manqués du cinéma d’aujourd’hui ?

Les « Guignols de l’info ». Je suis, comme d’habitude, partagé. D’un côté, un réel malaise à voir ces marionnettes prendre peu à peu le pas sur les « vrais » acteurs : encore un peu, je l’ai dit, et on votera, non pour les candidats, mais pour leurs guignols – celui-ci est plus « sympa », celui-là plus « émouvant », et ce troisième franchement « nul ». Mais, de l’autre, une vraie jubilation à voir, chaque soir, la langue de bois moquée, tournée en dérision et, surtout, décodée : et si les auteurs des « Guignols » étaient nos meilleurs analystes politiques ? s’ils étaient les seuls à traiter le mal par le mal, c’est-à-dire le Spectacle par le Spectacle ? et s’ils étaient les derniers vrais disciples de Debord ?

On connaît la thèse de Proust dans son Contre Sainte-Beuve : il y a « l’homme » d’un côté avec ses choix, sa biographie, ses travers peut-être, ses vertus – il y a « l’écrivain », de l’autre, qui, au fond, ne lui doit rien. Eh bien je m’aperçois, en lisant le livre d’Imbert et de Julliard et, notamment, dans leur dialogue, les chapitres passionnants consacrés à leurs années respectives de formation, qu’il en va de même en politique. Comment devient-on de « gauche » ? de « droite » ? Celui-ci, qui était programmé pour faire un homme de droite – le voici éditorialiste de gauche. Celui-là, qui est un pur produit de la grande éducation laïque et républicaine, penche plutôt de l’autre côté. Faillite des déterminismes. Mystère insondable des choix. Pour percer le secret de cette autre âme, il faudrait un « Contre Sainte-Beuve politique ».

On dit : le cinéma français manque de scénarios. Erreur : c’est de personnages qu’il manque le plus.

Enzensberger (La Grande Migration, Gallimard) note que Clausewitz ne consacre pas une ligne à la guerre civile dans son « manuel de l’art militaire ». Cette guerre civile est notre horizon. Serait-elle la seule forme de guerre non pensée – et, peut-être, non-pensable ?

Un autre livre d’entretiens : celui de Nicolas Sarkozy avec Michel Denisot. C’est drôle, vous ne trouvez pas ? Il y a trois mois, ou trois semaines, les gazettes en auraient été pleines, on se serait disputé l’honneur d’encenser la dernière production de notre probable prochain Premier ministre. Aujourd’hui, les sondages sont ce qu’ils sont et le sort du livre est ce qu’en font lesdits sondages. Ayant commenté ici, en son temps, le Georges Mandel du même auteur, j’aurais mauvaise grâce à ne pas dire que je retrouve, dans ce nouveau texte, la même passion de la vie publique, le même côté moine du service de l’Etat – le même amour, en un mot, de la politique. On me permettra d’observer aussi (mais faut-il s’en étonner ?) que les êtres de qualité sont souvent plus intéressants encore dans la lutte que dans le faste – quand se profile l’ombre de l’adversité que lorsque la victoire est assurée.

Mallarmé encore. Je découvre, dans le numéro de début d’année de la revue Europe, que c’est lui qui invente le fameux « Questionnaire » que l’on attribue toujours à Proust. Tout y est : les qualités favorites chez l’homme et chez la femme, le peintre préféré, l’occupation favorite, les héros dans la vie réelle ou littéraire, les auteurs favoris en prose, l’état présent de votre esprit… Avec, toutefois, quelques variantes dont les amateurs se régaleront : quels caractères détestez-vous le plus dans l’Histoire (réponse : « les principaux ») ; où préférez-vous rêver ? (réponse : « Je ne le dis pas », car trop envie d’y « aller seul ») ; votre fleur favorite (réponse – tellement mallarméenne ! – : « la bouche »).


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