Le cinéma a cent ans. Qu’est-ce que cent ans, cependant, à côté des milliers d’années de la littérature, du théâtre, de la peinture, de la musique ? Le cinéma, art jeune. Le cinéma, genre balbutiant. On en parle comme s’il était dans son grand âge alors qu’il n’est, comparé aux autres arts, qu’à l’aube d’une très très longue histoire. Ne pas perdre de vue cette évidence et, donc, cette perspective, alors que s’ouvre, en grande pompe, la saison des commémorations – avec tout ce que cela implique de mélancolie, de nostalgie, de lassitude obligée et, peut-être, de deuil.

Norman Mailer au New Yorker : le tort d’Hemingway aura été de prendre le jeu littéraire « trop au sérieux ». Puis : il s’est suicidé « en travaillant ses poses » et « parce que », sans doute, il les travaillait « trop ». C’est, presque mot pour mot, ce que m’avait dit Romain Gary, du même Hemingway, quelques semaines avant son propre suicide. Gary, chez Lipp, devant son « entrecôte pour deux » – à l’heure où, en secret, il s’installait dans le désespoir.

Ce beau mot de Pascal – presque un vers : « Car la vie est un songe, un peu moins inconstant ».

Le silence sur la Tchétchénie. Celui des chancelleries. Mais, aussi, des intellectuels. Et donc, en particulier, le mien. Impuissance ? Bien sûr. Incompétence ? Sans doute. Mais ceci encore, que j’hésite à formuler tant l’hypothèse me paraît honteuse : comme un stock de colère, une réserve d’indignation et de révolte qui seraient, simplement, épuisés.

Aragon sur Arte. Confirmation de ce que j’ai toujours pressenti : l’auteur du Paysan de Paris devient communiste – et le demeure – parce que c’est la meilleure façon qu’il ait trouvée de continuer en paix, et sans que cela se voie trop, de faire des bêtises surréalistes. Aragon facétieux et cynique.

Ce qui choque, en somme, chez Gaillot : qu’il ait l’air de souhaiter des prêtres qui soient des hommes pareils aux autres. A quoi bon, dans ce cas, des prêtres ? et d’où viendrait leur part de sainteté ?

Conversation avec Octavio Paz. Shakespeare, occulté pendant deux siècles, ne reparaît – en France – qu’avec Voltaire. Et un texte comme la Chanson de Roland disparaît, lui, carrément, jusqu’à sa redécouverte au milieu du XIXe siècle. Des textes susceptibles, aujourd’hui, de s’éclipser de la sorte ? Des contemporains que nous verrions naître, mais que nous perdrions aussitôt de vue, laissant à nos lointains successeurs le soin de leur rendre justice ? Hypothèse plus précise – et, du coup, plus plausible – que celle de l’écrivain purement inaperçu, incompris, « maudit ».

Définition du bonheur. Mais oui ! Je la trouve dans Nietzsche et elle est, au fond, assez simple : « Vivre de telle sorte que, de chaque moment vécu, je puisse souhaiter qu’il se reproduise, et se reproduise encore, inlassablement, à l’infini ». Éloge de l’éternel retour.

Ségolène Royal, en rupture avec la direction socialiste et ses « funestes querelles ». Bizarre, ce mot : « funeste »… Bizarre, tout à coup, dans sa bouche… Peut-être est-ce absurde, mais je ne peux me défaire de cette impression : un mot venu d’ailleurs, presque étranger et qui, plus encore que la démarche, jure avec la trivialité régnante. D’où vient-il, ce mot ? de quel souffle invisible ? par quels cheminements obscurs est-il parvenu jusqu’ici, à cette heure, dans le contexte de ce naufrage ? Histoire secrète d’un mot. Histoire secrète d’un geste.

Une campagne élyséenne en trompe-l’œil ? Réduite à des querelles de personnes, c’est-à-dire à quasi rien ? On peut dire cela. Mais on peut dire, également, l’inverse – et c’est, d’ailleurs, ce que faisait Catherine Nay dans Le Dauphin et le Régent, sans doute son meilleur livre : une présidentielle qui, précisément parce qu’elle fait s’affronter des passions pures et mises à nu, renoue avec ce qu’il y a de plus ancien – de plus essentiel ? – dans la confrontation des idées et des hommes.

Ce conseil de Barrés à Maurice Martin du Gard : écrire « au courant de la phrase » pour éviter que la langue ne « pèse » et ne « pose ». J’essaie, pour voir. Mais, évidemment, sans y parvenir. Convaincu que Barrés lui-même, disant cela, « posait »…

L’Élysée encore. Dans La France des hérissons (publié au Seuil, et que j’invite vivement à lire), Gérard Miller rappelle que cet Élysée est aussi, chez les Grecs, « le séjour des bienheureux en enfer »…

Rencontre, pour Tribune juive, avec le grand rabbin Sirat. Discussion. Arguments. Cette plongée commune dans le texte biblique et talmudique. Et, à mesure que le débat s’installe, cette autre voix qui, en moi, comme chaque fois, s’émerveille : « Ce legs inconscient ; ce savoir dont je ne sais rien – cet héritage que je redécouvre, incroyablement présent et précis, même si je vois, mieux que personne, qu’il ne passe ni par le rite, ni par la foi. Être juif ? Je ne connais pas le Talmud ; mais le Talmud, lui, me connaît.


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