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Kaboul

Par Atiq Rahimi

Atiq Rahimi et Bernard-Henri Lévy se sont rencontrés à Kaboul en mars 2002. Les deux hommes ont alors tenté de ranimer la vie littéraire dans un pays en ruine en projetant de créer une Maison afghane des écrivains. L’auteur de Syngué Sabour (Prix Goncourt 2008) raconte ici l’engagement de BHL pour un Afghanistan libre et ouvert et revient sur le soutien du philosophe dans la réalisation de son film Terre et cendres (2004).

Dans une rue de Kaboul en mars 2002. Bernard-Henri Levy en mission en Afghanistan au nom du Président Chirac et du Premier ministre Lionel Jospin pour prendre la mesure des besoins et des attentes du peuple afghan. Les Talibans viennent d'être chassés, tout est à reconstruire
À Kaboul en mars 2002. Bernard-Henri Levy en mission en Afghanistan au nom du Président Chirac et du Premier ministre Lionel Jospin pour prendre la mesure des besoins et des attentes du peuple afghan. Les Talibans viennent d’être chassés, tout est à reconstruire. ©Alexis Duclos

Nous sommes en février 2002. Après 18 ans d’exil, je me retrouve dans ma ville natale, Kaboul. Il fait froid. La neige, comme une page blanche, couvre les ruines, les plaies de guerre, comme pour que les Afghans fassent leur deuil et réécrivent à nouveau leur histoire et leur destin après vingt-cinq ans de barbarie humaine – entamée par les communistes (1978-1992), fomentée par la guerre civile (1992-1996), et portée à son acmé par les Talibans (1994-2001).

Les regards sont encore timides ; les mots, toujours hésitants ; les mains, immuablement tremblantes. Mais l’espoir est là, discrètement, dans le cœur des Afghans. Car, depuis le 11 septembre 2001, le monde entier tourne ses regards vers eux. Les militaires – la Force Internationale de Sécurité –, les humanitaires, les représentants politiques : ils sont tous présents à Kaboul ; mais, malheureusement, pas beaucoup d’artistes et d’intellectuels. Or, est là, en mission par le gouvernement français afin « d’y étudier les modalités d’une contribution française à la reconstruction de ce pays meurtri[1] », Bernard-Henri Lévy. Dans le cercle des ex-moudjahidines, des intellectuels et des politiques afghans, on parle de lui, de son engagement durant la guerre Afghano-soviétique et, en particulier, auprès de Massoud ; mais aussi de sa vocation philosophique et intellectuelle dans le monde. On se souvient alors de son premier voyage de l’été 1982 pour la création de la Radio Kaboul Libre, destinée à transmettre les messages de la résistance au peuple afghan, de son intervention pour Action Contre la Faim en 1992…

Je le rencontre enfin, le 3 mars 2002, à l’ambassade de France. Il m’interroge avidement sur l’état culturel du pays. On échange des idées, on cherche des solutions pour faire revenir au pays les écrivains et les intellectuels afghans, désemparés, en exil. Qu’ils rentrent pour ne pas laisser de place aux théologiens fondamentalistes ! Nous sommes en pleine discussion quand la ville de Kaboul, sous nos pieds, se met à trembler. Un séisme. Comme si l’on secouait cette terre pour la réveiller.

Nous nous précipitons vers le jardin de l’ambassade tout en poursuivant nos espoirs et nos rêves. Demain, BHL a une conférence devant l’intelligentsia afghane, 300 personnes, dans les locaux de la Radio de Kaboul.

De cette mission, il tirera un Rapport au Président de la République et au Premier Ministre, un document précis et précieux qui, après un état des lieux, expose brillamment le devoir du gouvernement français à l’égard de l’Afghanistan, et la nécessité d’aide à ce pays. Si ce rapport était bien lu, non seulement en France, mais aussi dans d’autres pays présents sur cette terre en ruine, et si un quart de ce que ce rapport propose était appliqué, l’Afghanistan pourrait avoir une chance de sortir de ce désastre auquel il court actuellement.

Bernard-Henri Lévy a continué sa contribution personnelle à la reconstruction du pays, surtout dans les domaines de la presse et de l’art, en accompagnant un centre très important des médias, Aïna, fondé par le grand photographe Reza, au sein duquel, il a créé le magazine trilingue (dari, pashto et français) Les Nouvelles de Kaboul. Il a aidé l’hebdomadaire Kaboul Weekly à renaître, etc.

En outre, il a produit mon long-métrage Terre et cendres, une première dans la co-production cinématographique franco-afghane, qui a été présenté et salué d’abord au Festival de Cannes 2004, et puis dans plus de cinquante festivals internationaux, où il a su, je crois, donner une autre image de l’Afghanistan.

Ainsi maintient-il son engagement là où la liberté d’un peuple est menacée, l’intégrité d’une culture est altérée, la dignité humaine est bafouée, que cela se passe en Afghanistan ou ailleurs.

Note de bas de page (n° 1)

Bernard-Henri Lévy, Rapport au Président de la République et au Premier Ministre sur la contribution de la France à la reconstruction de l’Afghanistan, Paris, Grasset et La Documentation française, 2002, p. 7.


  1. Bernard-Henri Lévy, Rapport au Président de la République et au Premier Ministre sur la contribution de la France à la reconstruction de l’Afghanistan, Paris, Grasset et La Documentation française, 2002, p. 7.


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